«Contactée, Me Céline Lasek n'a pas souhaité commenter cette affaire.» Depuis deux semaines, les journalistes français trébuchent systématiquement sur un mutisme volontaire. L'avocate de Pierre Palmade ne s'exprimera pas. Du moins pour l'instant. Un silence tactique qui jure avec le torrent émotionnel déversé en continu par son confrère, au nom des victimes.
De TPMP à BFMTV, Me Mourad Battikh n'est pas près de lâcher la corde sensible et médiatique. Pourtant, les deux avocats ont un point commun: les drames surexposés. L'affaire Jubillar pour l'un, Bertrand Cantat pour Céline Lasek. Entre autres.
Silence et discrétion. Du plan d'action de Me Lasek, tout juste sait-on que le 15 février dernier, c'est bien la pénaliste française qui a fait en sorte d'exfiltrer son célèbre client à l'abri des (nombreux) regards. Des sous-sols de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) jusqu'à l'entrée de service des pompiers de l'hôpital de Melun. Une retenue qui ne date pas d'hier pour celle qui, encore ado, se glissait dans les tribunaux «comme les petits vieux qui passent leur après-midi à suivre des procès».
Longer les murs médiatiques ou se jeter contre, Céline Lasek y réfléchit pourtant à chaque nouvelle affaire. Sans jamais pouvoir offrir une réponse immuable. Il lui faut peser le pour et le contre, surtout quand ça touche de plein fouet l'opinion publique. Elle raconte par exemple que ses clients, eux, sont très souvent demandeurs. Surtout ceux qui ne supportent plus d’être «salis et traînés dans la boue».
Un exercice qu'elle préfère considérer comme «égocentrique», car «peut-être au détriment du client», dira-t-elle au micro d'un podcast produit par TF1, en 2021. Une émission dans laquelle elle évoquait notamment les dédales moins éclairés du procès de Bertrand Cantat.
Mais fuir le journaliste n'est pas toujours possible. Comme il y a quelques mois, quand Céline Lasek demandait le huis clos (sans succès) par crainte d'un «déferlement médiatique». Son client? Un certain... Jean-Marc Morandini, finalement condamné à un an avec sursis pour «corruption de mineurs». A croire que cette fille de scientifiques court après la controverse.
Car, en 2003, Céline Lasek n'a pas 30 ans quand elle décolle pour Vilnius. La capitale de la Lituanie et, le temps d'un procès que personne n'oubliera, épicentre d'un drame sans véritable fin. Le célèbre chanteur de Noir Désir a tué sa compagne, Marie Trintignant, lors d'une violente dispute.
Avec elle ce jour-là dans l'avion, le chef et mentor de la jeune avocate: Me Olivier Metzner. «Olivier n'avait jamais entendu une seule chanson de Noir Désir. Je lui ai acheté tous les disques juste avant de partir.» Par ce geste, Céline Lasek voulait surtout être bien sûre que son patron comprenait l'ampleur et la complexité du marathon qui allait se jouer très loin de Paris. Contrairement «aux affaires financières très techniques», dont elle a aussi l'habitude d'empoigner, la pénaliste doit, ici, gérer un mille-feuille émotionnel qui complique le chemin judiciaire.
Mais «Cantat, pas Cantat, connu, pas connu, on savait qu’on allait d'abord rencontrer un homme à terre, un homme désespéré». Elle avouera d'ailleurs avoir craché quelques larmes lors d'une audition de son célèbre client. Avec un sentiment de culpabilité dans les tripes et la peur que son mentor la traite «de nunuche qui ne sert à rien». Ironie du sort, Me Metzler, à défaut d'une justification, lui demandera des mouchoirs pour ses propres pleurs.
Comparaison n'est pas raison. Mais de Bertrand Cantat à Pierre Palmade, des similitudes sautent aux yeux. Deux hommes qui, au réveil d'un geste violent et tragique, diront très vite leur «honte» et leur volonté «d'assumer toutes les conséquences» de leurs actes. Deux accusés qui, au début du moins, ne souhaitent pas foncièrement se défendre. Difficile pour l'avocate dont c'est précisément le boulot.
Durant les premières heures à Vilnius, il n'était donc pas question d'évoquer une quelconque stratégie de défense avec l'accusé. Il fallait «d'abord accompagner et sécuriser un être humain sur le fil. On avait peur qu'il bascule». Comprenez, le défendre contre lui-même.
Dans les deux affaires, pour certains, il y a cette opportunité, à double tranchant, d'aboutir à une condamnation exemplaire. Pour d'autres, le risque d'un procès peu équitable, dans tous les sens du terme.
Et puis ce sentiment qui plane méchamment sur l'affaissement psychologique des deux accusés au moment de l'enquête, puis du procès. Pierre Palmade, bien avant le dramatique accident, n'a jamais caché sa difficulté à vivre. «Quand un client est déjà détenu, par exemple, on sait qu’il est plus fragile et qu’il faut aller le voir fréquemment», décrivait la pénaliste en 2021.
Un geste très grave, un client fragilisé, des médias bavards, des fuites policières, une opinion publique touchée au coeur: un cocktail explosif? «Il faut savoir que les plaidoiries pour un client qui a commis un acte criminel qu’il reconnaît, se résument bien souvent à devoir expliquer précisément ce qui s’est réellement passé et de faire en sorte que la peine soit adaptée.»
Céline Lasek invoque souvent l'empathie de celui qui sait «écouter». Pas cette empathie «gna gna gna je prends mon client par la main», comme elle explique dans le podcast de TF1, mais celui, plus stratégique, qui permet de «cerner non seulement l'accusé, mais aussi la partie adverse et le juge». Une empathie agile et une parole au compte-goutte qui, selon nombre de ses consœurs et confrères, sont ses qualités les plus redoutables. Des armes dont elle ne dévoile jamais les ressorts dans les médias.
Ce week-end, Me Mourad Battikh a fait diffuser, «à la demande de la famille», des photos très dures des victimes de l'accident causé par Pierre Palmade. Me Lasek, elle, aiguise toujours sa stratégie, loin des micros. Fin décembre 2022, dans le cadre de la défense du nageur français Yannick Agnel, embourbé dans une affaire d'agression sexuelle sur mineure, l'avocate ne mâchait pas ses mots contre les médias: «Les journalistes ont manifestement eu accès au dossier d’instruction en cours, dont ils n’hésitent pas à extraire des morceaux choisis aux seules fins d’une recherche de sensationnalisme.»
Des mots qui résonnent à plein volume, à l'heure où les fuites judiciaires au sujet de l'accident de Pierre Palmade font le bonheur et l'audience des 20H et des chaînes d'info en continu. Une médiatisation et des procès retentissants qui, pourtant, ont façonné sa propre fringale des affaires émotionnellement sensibles. Encore gamine, bien avant de courir les prétoires, Me Lasek se passionnait pour les récits de tueurs en série, dévorant «tous les livres de Stéphane Bourgoin».
D'ailleurs, elle refuse des dossiers, Céline Lasek? «J’aime tous mes clients. Et je défends des gens, pas des causes. La seule raison qui pourrait me faire refuser une affaire, c’est un client qui me demanderait d'adhérer à une cause.»
Pour l'heure, il y a fort à parier que Pierre Palmade, seul avec sa conscience, se considère lui-même comme une cause perdue.