Dans les bonnes familles, il est de coutume et de bon ton de transmettre ses mémoires à la postérité. Alors certes, le faire quand on a moins de 40 ans et avec l'aide d'un écrivain fantôme reste un privilège réservé aux nantis et autres membres de la royauté. N'est-ce pas, Harry?
Le duc de Sussex n'a rien inventé. Des années avant lui, un autre membre éminent de la famille royale a provoqué l'émoi de sa royale famille en publiant son autobiographie. Nous avons nommé: Edward VIII.
Pour ceux qui ne seraient pas familiers du personnage, petit CV express: Edward VIII, David de son prénom, est né en l'an de grâce 1894. Fils du roi George V, il est donc l'héritier tout désigné du trône d'Angleterre.
C'est oublier les tendances révolutionnaires (et surtout, les amours nombreuses) du futur monarque. Au début des années 30, lors d'un week-end à la campagne, Edward rencontre la femme qui va tout changer: Wallis Simpson, héritière américaine doublement divorcée (ça ne vous rappelle personne?).
Ce joli bout de roi blond aux yeux bleus est immédiatement intrigué par cette femme aux manières opiniâtres «américaines», pleine d'esprit et fougueusement indépendante, qui lui rentre dedans pour une histoire de chauffage mal réglé.
Leur romance privée devient une affaire d'Etat quand David monte sur le trône en 1936. Au terme d'un règne de 326 jours (l'un des plus courts de l'histoire britannique), le roi finit par abdiquer avec force et fracas pour épouser l'élue de son cœur. Précisons que sans lui, Elizabeth II, sa nièce, ne serait jamais montée sur le trône.
On vous passe le scandale retentissant qui s'en suit, de l'exil en Autriche aux accointances du couple avec le régime nazi. Bien des années plus tard, en 1951, Edward VIII se sent prêt à raconter sa version des événements dans un livre.
Son titre: King's Story: The Memoirs of The Duke of Windsor («L'Histoire d'un roi: Les mémoires du duc de Windsor»). A peine plus clinquant que Spare («Le Suppléant»), vous en conviendrez.
Comme son arrière-petit-neveu, le duc de Windsor fait appel à deux journalistes américains pour l'aider à mettre ses précieux souvenirs sur papier: Charles JV Murphy et J. Bryan III. Lesquels, gênés par la vie d'oiseau de nuit et l'attention déficiente d'Edward VIII, auront bien du mal à venir à bout de leur mission.
Du côté de la famille royale, on est sous le choc. «Dans les coulisses, le livre a provoqué une colère et une inquiétude effrénées», note l'auteure britannique Lady Frances Lonsdale Donaldson, citée dans The Telegraph. Il se murmure que la Reine mère, belle-sœur d'Edward VIII, n'a jamais pardonné cet ouvrage/outrage à son beau-frère.
Le lancement britannique des mémoires coïncide en effet avec l'effondrement final de la santé de George VI, le père d'Elizabeth II. Il meurt cinq mois plus tard.
Ces mémoires sont-elles aussi croustillantes que celles que nous promet le prince Harry? On ne peut s'empêcher, en tout cas, de noter une série de similitudes troublantes.
L'enfance du futur roi fait partie des points les plus sensibles de la biographie, selon des extraits publiés dans l'édition américaine de Vanity Fair: Edward VIII décrit une «enfance misérable» dans un «décor Cartier», sous la houlette d'une nounou tyrannique.
Comme le prince Harry, les contraintes de la vie royale et le manque d'indépendance sont des thèmes récurrents. Le duc, «prince du peuple» autoproclamé, y raconte à force de détails ses voyages ennuyeux autour du monde dans les années 20. Bref, une existence de «devoir sans décision, de service sans responsabilité, de faste sans pouvoir».
En ce qui concerne les membres de sa famille, le duc se montre bien plus gentil que le sera le prince Harry, 70 ans plus tard.
Edward VIII, qui se décrit comme bien trop «libre-penseur et curieux» pour assumer comme il se doit le rôle de souverain, se donne beaucoup de mal pour clamer que son frère cadet fera un bien meilleur job que lui.
En revanche, lui non plus n'hésite pas à taper un bon coup sur les médias: «La presse crée; la presse détruit. Toute ma vie, j'avais été l'argile passive qu'elle a travaillée avec enthousiasme dans l'image éculée d'un prince charmant», écrit-il.
Des reproches qui n'empêcheront pas le duc de se montrer plus que coopératif avec la presse au moment de la publication de son autobiographie. A King's Story: The Memoirs of The Duke of Windsor jouit d'une énorme poussée de relations publiques et campera sur l'étagère des best-sellers pendant des mois.
Le succès commercial est tel que le duc de Windsor et Wallis Simpson collaboreront avec leur duo d'écrivains fantômes sur deux autres projets de livres, lesquels ne verront finalement jamais le jour.
Près d'un siècle plus tard, son descendant s'en trouvera bien inspiré: après les mémoires d'Harry, le duc et la duchesse nous promettent celles de Meghan, ainsi qu'un livre axé sur le bien-être.