Dans la nuit du 11 au 12 novembre 2023, Giulia Cecchettin, 22 ans, fraîchement diplômée en ingénierie biomédicale, est poignardée à mort à 26 reprises par son ex-compagnon Filippo Turetta, âgé lui aussi de 22 ans. Son corps est retrouvé le 18 novembre dans un ravin près du lac Barcis, à une centaine de kilomètres au nord de Venise. Le coupable a été arrêté en Allemagne après plusieurs jours de cavale. Il a avoué son crime et est désormais en prison. Son procès s'est ouvert ce lundi à Venise. Il encourt la prison à vie pour assassinat et enlèvement.
Depuis la mort de Giulia Cecchettin, un ensemble de projets de loi a été adopté par le parlement italien pour «renforcer l'arsenal existant en matière de protection des femmes». Mais pour les associations féministes, le changement culturel exigerait beaucoup plus dans un pays où, selon certaines régions, «jusqu'à 50% des hommes estiment que la violence est acceptable dans le cadre de relations», rappelle TV5 Monde.
Des préoccupations partagées par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations Unies. En février 2024, et malgré «un certain nombre de progrès réalisés par l’Italie en matière législative», les experts exprimaient leur inquiétude face à la violence envers les femmes dans le pays, au «taux élevé et alarmant de féminicides, et à l’absence d’approche systématique de ce problème par les autorités».
Le féminicide de Giulia Cecchettin aura toutefois engendré une mobilisation sans précédent et déclenché un débat national sur les raisons de la persistance des violences faites aux femmes en Italie.
Le 25 novembre 2023, soit quelques jours après la découverte du corps de Giulia, avait lieu la journée internationale contre les violences faites aux femmes. Des manifestations réunissant des milliers de participants ont eu lieu à travers l'Italie. A Rome, un demi-million de personnes a défilé, «du jamais vu» selon Mediapart. A Milan, le rassemblement avait pour titre «Le patriarcat tue» et a mobilisé quelque 30 000 personnes. Un crime «devenu fait social jusque dans cette Italie de province peu habituée aux mobilisations féministes».
Dans les rues, la foule a crié haut et fort sa colère. Sur les vidéos, on voyait par exemple les nombreux manifestants à Rome qui hurlaient et applaudissaient. A l'université de Padova, où étudiait Giulia Cecchettin, les personnes ont brandi leurs trousseaux de clés qu'elles ont fait tinter dans les airs. Un geste hautement symbolique. En effet, tenir les clés de sa maison entre ses mains permet d'ouvrir la porte rapidement, mais aide aussi à se défendre face à d'éventuels agresseurs, rappelle le Huffington Post.
Un appel au bruit qui a été lancé sur Instagram le 25 novembre par Elena Cecchettin, la petite sœur de Giulia. La publication a récolté plus de 124 000 «❤️» et près de 3000 commentaires. Elle a également publié une lettre dans le Corriere della Sera dans laquelle elle disait refuser la minute de silence décrétée par le ministre italien de l'Education. Elle dénonçait la société patriarcale responsable, selon elle, de la mort de sa sœur:
Et d'ajouter:
Outre la forte mobilisation dans les rues du pays, le féminicide de Giulia a fait la une des médias nationaux. Ils ont suivi l'affaire de près depuis l'annonce de sa disparition début novembre. La Repubblica, par exemple, a écrit plusieurs articles qui lui rendent hommage. Le quotidien a notamment retranscrit le discours de Elena Cecchettin prononcé lors des funérailles mardi 5 décembre.
L'enterrement a été diffusé en direct à la télévision italienne. Camarades d’universités, représentants du monde politique – dont Sergio Mattarella, le président italien et Giuseppe Valditara, le ministre de l'Education – ou citoyens ordinaires se sont rendus à la basilique Sainte-Justine de Padoue, près de Venise, pour rendre un dernier hommage. Les policiers, vêtus de leur uniforme, «ont salué le cercueil comme s'il s'agissait d'un chef d'Etat», relaye La Repubblica. A la fin, la foule rassemblée à l'extérieur a, à nouveau, fait tinter les trousseaux de clés.
Gino Cecchettin, le père de Giulia, a également prononcé un discours qui sera repris dans les établissements scolaires.
Il a appelé à l'instauration de programmes éducatifs dans les écoles pour sensibiliser et prévenir contre la violence de genre. Il demandait aux pouvoirs politiques de mettre de côté leurs différences idéologiques pour affronter ensemble ce fléau. Il souhaitait que les forces de l'ordre soient formées pour reconnaître les violences et protéger les victimes.
Quelques jours plus tard, dimanche 10 décembre, il était invité sur le plateau de l'émission Che tempo fa: «Je suis ici ce soir parce que je veux mener une bataille dont je n'avais pas conscience. Lorsque j'entendais parler de féminicide, j'étais désolé pour la famille de la victime. Ensuite, je tournais la page, comme la majorité des personnes.» Il poursuit:
Cet article a été initialement publié le 12 décembre 2023. Il a été mis à jour.