Ambiance de fin de règne en France: la coalition de l'ancien commissaire européen Michel Barnier en sursis a appelé mardi à la responsabilité pour ne pas faire tomber le gouvernement et éviter un «chaos» politique et budgétaire.
Menacé d'un vote de censure mercredi à l'Assemblée nationale, le Premier ministre de centre droit, nommé il y a seulement trois mois, s'adressera à la télévision à 20h00 répondant à des questions de la presse sur deux chaînes de télévision, en direct depuis sa résidence de l'hôtel Matignon.
Lundi, le dirigeant de 73 ans a engagé la responsabilité de l'exécutif en faisant adopter sans vote le budget de la Sécurité sociale, assurant avoir été «au bout du dialogue» avec les groupes politiques et exposant son gouvernement à une motion de censure qui a toutes les chances d'être approuvée, la gauche et l'extrême droite avec Marine Le Pen ayant annoncé qu'ils la voteraient.
Le débat suivi d'un vote sur les motions de censure déposées par la gauche et la Rassemblement national contre le gouvernement aura lieu mercredi à 16h00, a-t-on appris mardi de sources parlementaires.
«La chute de Barnier est actée», a proclamé la cheffe des députés de La France Insoumise (LFI), formation de la gauche radicale, Mathilde Panot.
Nommé le 5 septembre, il aura tenu trois mois grâce au «soutien sans participation du RN» et, «ce qui le fera tomber, c'est justement que le RN aura cessé de le soutenir», a jugé le député socialiste Arthur Delaporte.
Michel Barnier a multiplié les concessions et les marches arrière sur les efforts demandés aux Français face au dérapage des finances publiques, acceptant par exemple de surseoir au déremboursement des médicaments sous la pression du Rassemblement national, mais cela n'a pas suffi.
«Censurer ce budget est, hélas, la seule manière que nous donne la Constitution pour protéger les Français d'un budget dangereux, injuste et punitif», a décrété mardi Marine Le Pen sur X.
Voter la censure, «c'est notre devoir», a estimé mardi l'un de ses principaux lieutenants, le député RN Jean-Philippe Tanguy sur Europe1/Cnews. «Nous n'allons pas confier davantage les cordons de la bourse de la France à des gens qui sont incapables».
Mardi matin, les ministres se sont succédé sur les radios et télévisions pour agiter le risque du «chaos». «C'est le pays qu'on met en danger», s'est inquiété le ministre de l'Economie Antoine Armand.
«Le Rassemblement national cherchait surtout un prétexte pour mettre le pays à terre, pour voter une motion de censure qu'ils avaient en tête depuis le début», a estimé le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, sur RTL, fustigeant «l'irresponsabilité» du parti d'extrême droite.
«Est-ce qu'on veut vraiment le chaos? Est-ce qu'on veut une crise économique qui touchera les plus fragiles?», a lancé le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau sur TF1, convaincu que Michel Barnier peut encore parvenir à écarter la motion de censure.
L'adoption par l'Assemblée nationale d'une telle motion serait une première en France depuis 1962. Le gouvernement Barnier deviendrait alors le plus court de l'histoire de la Ve République.
Pour faire chuter le gouvernement, 288 députés devront voter la censure, soit un nombre très largement à la portée d'une alliance de circonstances entre la gauche et le RN.
Si l'exécutif tombait, la France s'enfoncerait encore plus dans la crise politique créée par la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin, avec en outre le risque d'une crise financière liée à la confiance des marchés en la capacité des pouvoirs publics à emprunter sur les marchés à de faibles taux.
La France enregistre cette année un sérieux dérapage de son déficit public par rapport au PIB, à 6,1% attendu en 2024 et ne prévoit de parvenir à respecter à nouveau la règle européenne des 3% qu'en 2029. Michel Barnier avait initialement proposé 60 milliards d'euros d'effort budgétaire en 2025.
Muet en public sur cette nouvelle crise, Emmanuel Macron a atterri lundi à Ryad pour une visite d'Etat de trois jours en Arabie saoudite. Si le scénario d'une censure se confirme, c'est à lui que reviendra le soin de nommer à nouveau un Premier ministre.
Le Sénat doit continuer de débattre mardi du budget de l'Etat. Pour les députés, «il y a quelque chose d'extrêmement vertigineux» à continuer ainsi à travailler alors que la censure semble quasi inéluctable, a dit à l'AFP le député socialiste Arthur Delaporte. «On se creuse les méninges, on essaye de préparer la suite», a-t-il ajouté. (jzs/ats)