Comment être plus irresponsable? Ce sont les partis qui plaident le plus pour l’introduction de la proportionnelle qui sont sur le point de faire tomber le gouvernement Barnier, à la suite du dépôt d'une motion de censure ce lundi 2 décembre, en lien avec le projet de loi sur le financement de la sécurité sociale. Le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI) n’ont cessé ces dernières années de réclamer une représentation plus équitable des forces politiques françaises à l’Assemblée nationale, jugeant le scrutin majoritaire injuste.
Au terme d’une dissolution ratée, prononcée le 9 juin dernier par le président de la République, ces formations politiques, à la faveur d’une tripartition des courants idéologiques en France, ont hérité d’une proportionnelle de fait dans la nouvelle Assemblée nationale issue des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Qu’en ont-ils fait? Qu'en font-ils aujourd’hui? Un lamentable gâchis, témoin d’une immaturité parlementaire.
La proportionnelle à laquelle ils disent aspirer, ils l’avaient obtenue par accident. Mais enfin, elle était là, aucune majorité ne se dégageant toutefois clairement. Les forces politiques qui s’étaient entendues entre les deux tours des législatives pour ne pas donner la majorité absolue à l’extrême droite incarnée par le Rassemblement national, avaient la responsabilité de former un gouvernement qui tienne. Au moins jusqu’à la prochaine échéance, le plus tôt en juillet prochain, une nouvelle dissolution ne pouvant pas intervenir moins d’un an après la précédente.
Certes, la gauche, à l’Assemblée nationale, est dominée par La France insoumise. Un parti qui abîme chaque jour la démocratie par des déclarations et des postures empreintes d'une violence symbolique incompatible avec l’idée que l’on se fait de la conduite d’un Etat. Mais le petit groupe socialiste avait l’occasion – il l'a toujours tant que la censure n'est pas votée – de dire «non» à LFI au sein de l'alliance de gauche. Il est malheureusement l’otage électoral volontaire du parti de Jean-Luc Mélenchon.
Le Rassemblement national – le proscrit de l’Assemblée nationale – aurait pu la jouer grand seigneur en ne votant pas la censure, lui qui veut donner l’image d’une formation responsable, prête à gouverner. Le calendrier judiciaire s’en est mêlé, qui fait peser sur Marine Le Pen la menace d’une peine d’inéligibilité qui ruinerait ses chances de se présenter à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2027. La cheffe naturelle du RN s'est peut-être dit qu'elle n'avait pas de raison particulière de se montrer magnanime.
En annonçant voter la censure, le RN préfère ne pas décevoir son électorat populaire, lequel est attaché tout autant à la préservation de son pouvoir d’achat qu’à sa vision xénophobe de la société.
On retiendra que les extrêmes de gauche et de droite s'entendent – sur deux motions de censure déposées par LFI et le RN – pour faire tomber un gouvernement qui est certes imparfait, mais dont le chef, Michel Barnier, a des accents de sincérité, à l’opposé de toute démagogie. C’est la démagogie et la facilité qui sont sur le point de gagner. Moralité: seul le pouvoir exercé pour soi-même compte aux yeux de la plupart des partis en France, y compris de ceux qui réclament la proportionnelle.
A présent risque de se poser la question d’une élection présidentielle anticipée si la censure devait être acceptée – les députés ont un délai de réflexion imposé de 48 heures avant le vote de la motion. Mais une démission d’Emmanuel Macron, qui a mis la France dans les difficultés que l'on connaît avec son absurde dissolution, n’accentuerait-elle pas la crise de régime en affaiblissant la fonction présidentielle, comme soumise aux aléas du Parlement?
Une chose paraît certaine à ce stade: la France n'est pas prête pour la proportionnelle. On approche sans doute de la fin de l'expérience du «en même temps» macronien, qui pouvait sembler prometteuse, mais qui s'est avérée une machine à fabriquer des extrêmes envahissants, quand les partis de gouvernement, eux, se rétrécissent.