Il était une fois une plage, l'une des plus belles et des plus sauvages de France – un paradis pour les surfeurs et les amateurs de baignade. Sur les photos jaunies de la brasserie La Côte-d'Argent, on voit encore à quoi ressemblait Lacanau plage il y a 50 ans.
A l'époque, une bande de sable s'étendait sur plusieurs centaines de mètres à marée basse, offrant une place énorme pour les familles qui venaient y planter leurs parasols. Les surfeurs se perdaient dans le ressac et, sur le talus, les enfants s'amusaient dans les bunkers en béton de la Seconde Guerre mondiale.
Aujourd'hui, les bunkers ont été engloutis, le talus a disparu. L'eau l'a «mangé», dit Hervé Cazenave, que nous rencontrons à la brasserie. Malgré la pluie battante, le garde-côte communal sort en short pour la visite guidée de Lacanau Océan, comme on l'appelle aujourd'hui. Parce que Lacanau plage, ça ne veut plus dire grand-chose.
Hervé Cazenave, qui s'occupe principalement des piscines, montre les imposants pilotis sur lesquels repose le restaurant Kajoc, qui s'avance loin dans la mer. Le sable en dessous est mangé par l'eau, au rythme d'un à deux mètres par an.
Selon la Nasa, le niveau de la mer a augmenté de 9,3 centimètres en 20 ans à cet endroit. Suffisamment pour creuser sous le Kajoc.
Dans le vent froid et humide, Cazenave nous emmène sur la plaine sablonneuse qui, à marée haute, ne fait que 20 à 30 mètres de large. Les baigneurs ne peuvent s'y installer qu'à marée basse. Pas de surfeurs à l'horizon non plus. Seules trois pelleteuses jaunes s'affairent. Elles érigent un rempart de blocs rocheux contre les vagues qui déferlent.
En haut de l'esplanade, les cafés, les surfshops et les marchands de glaces sont fermés, à quelques exceptions près. Une terrasse en bois est en cours de construction pour la période estivale. Mais on ne délivre plus que des permis de construire provisoires, précise immédiatement Hervé Cazenave.
Toute la promenade est en train d'être rénovée. Mais elle pourrait ne pas avoir le temps de vieillir: selon le représentant de la commune, tout pourrait être démonté en 2030.
Car Lacanau Océan devrait se retirer dans les terres. Notre guide préfère parler de «relocalisation». Si le niveau de l'eau continue de monter et que le vent érode la plage au point d'engloutir entièrement les rochers, la station n'aura plus d'autre choix que de se «replier stratégiquement» derrière les dunes, explique le responsable du littoral. Qu'est-ce que cela signifie concrètement? A côté du Lacanau Surf Club, Hervé Cazenave montre les maisons en première ligne avec vue sur la mer:
Le club de surf sera démoli cette année encore. Un second centre de surf et de kite devrait être construit derrière la dune, et plus loin encore dans les terres, un site de production de planches de surf et de paddle.
Selon les plans communaux, le déménagement à proprement parler devrait commencer en 2030. Les études ont livré leurs résultats, et Cazenave a organisé des réunions pour orienter les habitants. D'ici là, les pelleteuses consolideront ou construiront des enrochements chaque hiver. Ces mesures de protection structurelles engloutissent deux tiers du budget d'investissement communal, affirme notre guide. Il est impossible de continuer comme ça sur le long terme. Il ne reste que la relocalisation.
Si seulement il était si simple de déplacer tout ou partie d'un village loin du littoral. Pour les 6000 habitants de Lacanau, qui accueille jusqu'à 100 000 vacanciers en août, la pilule a du mal à passer. Sur le front de mer, les quelques résidents permanents, des retraités pour la plupart, ne veulent pas entendre parler de relocalisation. Peut-être parce que la question les fait tout à coup réaliser que leur petit paradis n'est plus éternel. Au Kayoc, perché sur ses pilotis, une employée lâche sèchement:
Valérie Bru nous reçoit plus aimablement dans son agence immobilière du même nom, la plus ancienne du village. Mais elle aussi estime que les médias en font trop.
Aurélie, une jeune femme du nord de la France, a même acheté l'année dernière un petit appartement au sud de la station qu'elle a rénové avec goût. A une centaine de mètres de l'eau. Dans un demi-siècle, l'Atlantique devrait inonder la résidence Bleue Marine. Et ensuite? Aurélie hésite, puis répond qu'elle ne pense pas si loin.
A 60 kilomètres au nord de Lacanau, il y a déjà un précédent. A Soulac-sur-Mer, un immeuble de cinq étages situé directement sur la plage a été démoli début 2023. Il s'était fissuré à cause de l'érosion. L'Etat a exproprié les propriétaires des 74 appartements de vacances. Après de longues négociations, ils ont obtenu 70% de la valeur de leur ancien logement.
A Lacanau Océan, ce n'est pas un seul bâtiment qui est menacé de démolition, mais tout un quartier balnéaire de 1500 foyers. Et Lacanau n'est qu'un des 126 sites menacés par l'érosion sur les 200 kilomètres de côte atlantique du sud-ouest de la France. Tout cela a un coût.
Rien qu'à Lacanau, les demandes d'indemnisation s'élèveraient à 500 millions d'euros selon la législation actuelle. Pour Hervé Cazenave, il est clair que la région, l'Etat et l'UE devraient prendre en charge la plus grande partie. Mais rien n'est moins sûr pour l'instant.
L'association environnementale régionale «Vive la forêt» y voit la preuve que les habitants de Lacanau ont littéralement les pieds dans l'eau: «Maintenant que les gens réalisent les coûts et les conséquences concrètes, ils ne veulent plus déménager», confie le président de l'association Patrick Point. Pourtant, à long terme, il n'y aura pas d'alternative au retrait derrière les dunes selon l'économiste reconverti en défenseur de la nature:
Quid de l'indemnisation des propriétaires déplacés? Patrick Point renvoie à la loi Climat et résilience lancée par le président Emmanuel Macron en 2021. Elle prévoit un mécanisme faisant baisser progressivement la valeur d'une maison menacée d'érosion sur 30 ans, jusqu'à atteindre zéro. Un moyen d'inciter à la vente, au risque de s'exposer, sinon, à l'expropriation. Mais personne n'utilise la loi:
Comme si les habitants commençaient seulement à prendre conscience de ce qui les attend – et de l'impact du réchauffement climatique sur leur quotidien.
(Adaptation française: Valentine Zenker)