On dirait la copie-conforme du débat acharné qui oppose en Suisse partisans et adversaires de l’actuelle redevance audiovisuelle. L’UDC en a rêvé, Macron l’a fait. Façon de parler. L’Assemblée nationale française, où les forces macronistes disposent d’une majorité relative, a adopté, samedi, en première lecture, la suppression de la redevance audiovisuelle. Le Sénat devrait faire de même.
Si bien que, dès l’automne prochain, les Français seront en principe dispensés de payer une taxe introduite en 1933, à l’époque uniquement pour les détenteurs d’un poste de radio. Une économie de 138 euros par «foyer fiscal». Bien moins que les 365 francs annuels versés par chaque ménage suisse propriétaire ne serait-ce que d’un smartphone, quand en France il fallait jusqu’alors déclarer un téléviseur pour être assujetti.
C’était une promesse du candidat Emmanuel Macron à l’orée de son second mandat de président. Promesse tenue. La redevance, qui rapporte annuellement 3,1 milliards d’euros, est remplacée par un prélèvement sur la TVA. Elle n’est donc pas purement et simplement supprimée. Le financement par l'Etat de l’audiovisuel public français est garanti dans sa pérennité dans la loi, «au centime près». Sauf que c’est à présent l’ensemble des consommateurs qui y contribuera, le critère régissant l’actuel mode de prélèvement – la possession d’un téléviseur – passant pour obsolète à l’ère des multiples canaux d’accès à l’info et au divertissement.
Adieu, donc, la «redevance», cette taxe à l'arrière-goût de patrimoine, dont les Français ne devraient toutefois pas trop pleurer la disparition en cette période d’augmentation des prix. Tous les députés de la NUPES, la coalition de gauche dominée par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, ont voté contre sa suppression.
Ce sur quoi porte le débat, là où il fait rage, tout comme en Suisse et pour les mêmes raisons, c’est sur la prétendue couleur idéologique des chaînes et antennes publiques. Trop à gauche. Voire à gauche toute! Soit l’un des principaux reproches adressés à l’audiovisuel public suisse par les partisans de l’initiative dite «Billag 2», qui veut ramener à 200 francs le montant de la redevance annuelle, un texte moins radical que celui massivement rejeté par les Suisses en 2018.
Derrière «Billag 2», l’UDC. Et derrière la suppression, en France, de la redevance, outre le bloc macroniste et la droite Les Républicains, le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, l’extrême droite.
A l’instar de l’UDC en Suisse, le RN s’estime systématiquement attaqué ou ignoré par le service public. Non seulement le RN approuve la suppression de la redevance, mais il souhaite en plus privatiser le service public, autrement dit, le démanteler, à quelques exceptions près, comme la chaîne franco-allemande Arte.
Le RN n’est pas seul à critiquer le prétendu positionnement à gauche des télés et radios publiques françaises. Les libéraux, proches des idées du président Macron, sans du tout aller jusqu’à réclamer la dissolution du service public, ne se gênent pas pour voler dans les plumes de certaines chaînes ou antennes.
C’est le cas de Jérôme Godefroy, l’un des cadors de Twitter. Ce journaliste aujourd’hui à la retraite, qui a fait l’essentiel de sa carrière à Europe 1 et RTL, dont douze années comme correspondant aux Etats-Unis, en veut particulièrement à la radio France Inter et au JT de 20 heures de France 2 présenté par Anne-Sophie Lapix, à laquelle il impute un «parti-pris anti-Macron». Quant à France Inter, il lui reproche d’«être engagée dans une gauche bobo et écolo», dont le ton l’horripile.
«On a affaire à une sociologie de fonctionnaires et de profs», note encore Jérôme Godefroy, joint par watson.
Sur le fond, il est d’avis que, contrairement à ce que craint la NUPES, la redevance, qui vit ses dernières heures, «ne garantit pas l’indépendance du service public». «Ce qui la garantit, assure Jérôme Godefroy, c’est l’Arcom (réd: l’autorité de régulation de l’audiovisuel public), notamment à travers les procédures de nomination, qui ne relèvent plus en France du pouvoir politique.»
L’ex-journaliste de RTL ne versera pas de larmes sur la fin de la redevance. Au passage, ce tweet piquant envoyé à l’humoriste belge Charline Vanhoenacker, présente quotidiennement en semaine sur France Inter et qui symbolise cette gauche donneuse de leçons aux yeux des détracteurs de l'antenne:
Ça m’avait toujours gêné qu’un millième de centime des 138 euros de ma redevance atterrisse dans les poches de @Charlineaparis de @franceinter.
— Jérôme Godefroy (@jeromegodefroy) July 24, 2022
Pierre Haski est l’une des grandes voix de la matinale de France Inter, d’ailleurs appréciée de Jérôme Godefroy, les deux hommes se connaissant. En charge de la chronique «Géopolitique», Pierre Haski, contacté par watson, affirme d’emblée:
Mais il ajoute:
Pour Pierre Haski, la suppression de la redevance est «une mauvaise chose»: «Surtout quand, non sans démagogie, on la présente comme une mesure de soutien au pouvoir d’achat à l’heure du retour de l’inflation, alors que l’on proclame par ailleurs que le financement sera assuré par la TVA. Il ne faut pas jouer avec la qualité de l’information: il y a suffisamment de forces qui veulent la détruire pour ne pas leur faciliter la tâche», estime le journaliste de France Inter.
Pierre Haski n'allait pas laisser la pique de Jérôme Godefroy à Charline Vanhoenacker sans réponse:
Je pense que tu étais moins regardant quand tu bossais à RTL ou Europe1… je ne comprends pas cette hargne, et même cette joie à voir la question du service public se poser : elle est indigne de toi. Très décevante.
— pierre haski (@pierrehaski) July 24, 2022
Ce à quoi l'ex-journaliste d'Europe 1 et RTL a répliqué:
La question du service public de l’audiovisuel se pose, que tu le veuilles ou non, Pierre. Et en tant qu’auditeur, téléspectateur et contribuable, j’ai le droit de la poser.
— Jérôme Godefroy (@jeromegodefroy) July 24, 2022
Il n'y a donc pas qu'en Suisse qu'on se dispute au sujet de l'audiovisuel public. Les menaces sur la redevance, mises à exécution en France au nom de la rationalité budgétaire et de la modernité des usages audiovisuels, sont à l'évidence aussi une arme politique. Mais, comme le rappelait Le Temps samedi, là où la redevance a été supprimée, en Norvège comme en Belgique, et dès lors que le financement et l'existence du service public demeurent garantis, le résultat obtenu n'a pas soulevé de récriminations particulières.