C'est bien connu: le paradis n'est malheureusement pas accessible à tous. Le chauffeur de la ligne de bus B1 de Marseille demande gentiment, lorsqu'il dépose un voyageur étranger:
Depuis peu, on ne visite plus les calanques, ces criques rocheuses à l'eau de mer turquoise dans de pittoresques gorges calcaires, sur un coup de tête. Trois jours avant la date de visite souhaitée, il faut s'inscrire sur le site Internet de ce parc naturel national. Et ceux qui sont déjà en mode vacances et grasse matinée n'iront pas bien loin: la fenêtre de réservation s'ouvre toujours à neuf heures précises du matin; quelques minutes plus tard, les 400 places sont déjà prises.
Léon, les cheveux blancs comme la neige, la peau bronzée, arrive à vélo. Ce retraité marseillais visite les calanques depuis quarante ans. Ce qui l'agace, ce n'est pas tant l'obligation de réserver, mais le fait qu'il faille s'inscrire uniquement par Internet. Car Léon n'a ni téléphone ni ordinateur.
Mis à part cela, il se félicite du contingentement du nombre de visiteurs.
Ces dernières années, jusqu'à 3500 visiteurs quotidiens, ont inondé le parc des Calanques. Chaque été, ils étaient de plus en plus nombreux. Aujourd'hui, la direction du parc a tiré la sonnette d'alarme et a fixé la limite supérieure de fréquentation à 400 visiteurs par jour. Agathe, «écogarde» (gardienne de l'environnement) à l'entrée de l'immense parc, s'en réjouit.
Sous un soleil de plomb, nous traversons pendant trois quarts d'heure le paysage calcaire méditerranéen. Les grillons chantent, la lavande en fleur embaume l'air. Il y a seulement deux gardes qui demandent à voir la réservation sur le téléphone portable, au détour d'un chemin.
Arrivés au bord de la mer, il faut descendre les rochers jusqu'aux magnifiques baies de la plage. Sur les plages, dont certaines ne font que vingt mètres de large, les serviettes de bain sont déjà serrées le matin. On n'imagine pas à quel point les baies étaient bondées avec dix fois plus de monde.
Zacharie Bruyas de la direction du parc nous le confirmera plus tard: le contingentement rencontre une «large approbation» à Marseille et dans ses environs. C'est peut-être aussi parce que l'ensemble du site est une zone de protection de l'environnement, où il n'y a ni restaurants ni hôtels.
Une limitation similaire a été décidée cet été par les deux îles de Porquerolles et Port-Cros, près de Toulon. Mais là, il y a eu une résistance de la part des entreprises de ferry et des agences de voyage qui ne veulent pas se contenter de 6000 visiteurs par jour.
La situation est différente en Bretagne. L'île de Bréhat, située sur la côte nord, a fixé elle-même pour la première fois en juin une limite journalière de 4700 visiteurs. Cela représente tout de même dix fois la population de l'île, qui compte 427 habitants.
L'arrivée des visiteurs n'est autorisée que par ferry-boat et entre 8h30 et 14h30. Le maire Olivier Carré souhaite ainsi protéger les sols et éviter les dépôts sauvages de déchets. Il pense également au confort des voyageurs: comme le dit une étude sur les îles bretonnes, «la satisfaction des visiteurs de l'île diminue rapidement en cas de forte affluence».
Ce n'est pas un hasard si ce sont surtout les îles ou les réserves naturelles limitées qui introduisent des quotas de visiteurs: il est plus simple pour elles de contrôler la mise en application des mesures.
Mais parfois, les communes qui vivent du tourisme hésitent à introduire des quotas: elles savent qu'il y aura alors potentiellement moins de réservations et de consommation dans les restaurants. Cet argument est également avancé par le conseil municipal responsable de la réserve naturelle corse de Scandola en Corse. Cette réserve de gibier, inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, hésite à introduire un plafond de fréquentation.
D'autres lieux ont également du mal à s'y résoudre. Le célèbre Mont Saint-Michel ne veut pas prendre de mesures restrictives, bien que les jours de pointe, jusqu'à 30 000 visiteurs se retrouvent au coude à coude sur la colline de l'église mythique.
Le petit village d'Etretat, entouré des imposantes falaises calcaires de Normandie, est lui aussi embêté, tout comme le légendaire jardin des Nymphéas de Monet à Giverny, où les automobilistes doivent attendre jusqu'à trois heures pour trouver une place de parking les beaux dimanches.
Le joli village provençal de Gordes ne se porte guère mieux. Il est submergé par les voyageurs estivaux, bien qu'il ait augmenté massivement le prix des places de parking.
Le sociologue du tourisme Rodolphe Christin décrit, dans un «manuel de l'anti-tourisme» très remarqué, les conséquences négatives pour des pays comme la France, l'Italie ou l'Espagne. Sa formule est concise: «Le tourisme tue le voyage». Et sa recette:
En outre, selon Rodolphe Christin, les pays qui voyagent beaucoup devraient tenter d'innover et, par exemple, échelonner les deux mois de vacances scolaires.
Le gouvernement parisien veut désormais s'attaquer au problème de l'afflux massif de touristes aux heures de pointe. La ministre du Tourisme Olivia Grégoire a mis en place en juin un comité d'experts chargé d'étudier les moyens de mieux répartir les flux de visiteurs. Il est même prévu de faire appel à des influenceurs pour rediriger les touristes.
Des campagnes publicitaires sont également à l'étude pour désengorger les sites les plus visités comme les châteaux de la Loire ou le Musée du Louvre à Paris. Grégoire pense à des réservations obligatoires, similaires à celles désormais mises en place dans les calanques de Marseille.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)