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L'enlèvement d'Amir DZ: «J’ai passé la nuit comme un esclave»

Amir Boukhors raconte à watson son enlèvement.
Le dossier d’Amir DZ: un enlèvement qui secoue les relations France-Algérie.Image: watson

«J’ai passé la nuit comme un esclave»: il raconte son enlèvement

Réfugié en France, l'influenceur et opposant au régime algérien Amir DZ raconte à watson son enlèvement survenu en 2024. Un kidnapping au cœur d'une crise majeure entre Paris et Alger. Le parquet antiterroriste est saisi.
16.04.2025, 05:4016.04.2025, 06:29
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Sur ses réseaux sociaux au million d'abonnés, Amir Boukhors est connu sous son nom d’influenceur, Amir DZ. Agé de 41 ans, cet opposant au régime algérien est réfugié politique en France. Il est aujourd’hui au cœur d’une nouvelle escalade diplomatique entre la France et l’Algérie, au moment où les tensions suscitées par l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 16 novembre à Alger semblaient s’apaiser entre les deux pays.

Samedi, le Parquet national antiterroriste français (PNAT) indiquait avoir mis en examen trois hommes, dont un employé du consulat d'Algérie de Créteil. Ils sont soupçonnés d'être impliqués dans l'enlèvement, fin avril 2024, en région parisienne, d’Amir Boukhors.

Les chefs de mise en examen sont graves:

«Enlèvement, séquestration et détention arbitraire en lien avec une entreprise terroriste»
Chefs de mise en examen des trois suspects
Amir Boukhors ou "Amir DZ", de son pseudonyme en ligne, est un opposant au régime d'Alger bien connu sur les réseaux sociaux.
Amir Boukhors ou «Amir DZ» sur les réseaux. Image: dr

Selon l’avocat d’Amir Boukhors, Me Eric Plouvier, Alger a d’abord «tenté de le neutraliser avec les mandats d'arrêt», puis, devant le refus de Paris de l'extrader, «a voulu venir le chercher directement sur le sol français en l'enlevant». En représailles à l’arrestation de son employé consulaire, le gouvernement algérien a décidé d’expulser douze fonctionnaires de l’ambassade de France en Algérie. Mardi soir, en représailles aux représailles, Emmanuel Macron annonçait l'expulsion de «douze agents servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France», ainsi que le rappel pour consultations de l’ambassadeur français à Alger.

Watson a joint par téléphone l'homme au centre de cette crise majeure, Amir Boukhors, alias Amir DZ. Voici son histoire. Tous les ingrédients de la barbouzerie y figurent.

La lanceur d'alerte

D'où êtes-vous originaire en Algérie et quand êtes-vous arrivé en France?
Amir Boukhors: Je suis de Tiaret, situé à 200 km sud-est d’Oran. Je suis arrivé en France en 2016. Avant, j'étais en Allemagne. A l'époque, j’étais sans travail, mais déjà actif sur le Web.

«J’ai commencé à diffuser des dossiers de corruption impliquant des civils et militaires algériens»

Comment aviez-vous constitué ces dossiers de corruption?
Mon travail, c’est le journalisme d’investigation. Je fais des enquêtes, avec des sources. En France, j’ai commencé comme blogueur, avant d'entamer des études de journalisme. En 2020, j’ai obtenu un diplôme de journalisme à l’Ecole des métiers de l’information, à Paris. Je diffuse donc des dossiers de corruption. Je suis un lanceur d’alerte.

Quelles sont les personnes visées par vos enquêtes?
Mes enquêtes portent sur les biens détenus par des personnalités politiques et militaires, par leurs enfants aussi. Il y a des fils de généraux qui ont fait fortune dans l’import-export. J'ai révélé l’identité cachée de propriétaires de sociétés, documents à l’appui. Le régime algérien n'aime pas que les Algériens sachent que le fils ou la fille d’un général gère la société X ou Y. En 2023, j'ai obtenu l'asile politique en France.

L'enlèvement

Que s'est-il passé le 29 avril 2024?
Vers 23h30, alors que je regagnais en voiture mon domicile situé dans le Val-de-Marne (région parisienne), j’ai été enlevé. Cela s’est passé à environ 200 mètres de chez moi. Une voiture banalisée avec gyrophare m’a barré la route. Quatre hommes en sont descendus. Ils portaient un brassard de police. Je me suis dit que ce devait être des membres de la BAC (Brigade anticriminalité). Ils m’ont demandé de sortir de la voiture. J'ai obtempéré. Ils m’ont mis immédiatement les menottes, les mains dans le dos. Je suis monté dans leur voiture. L’un des quatre hommes a pris ma voiture. J’ai demandé où on allait. L’un m’a répondu:

«On va voir l’officier de police judiciaire, il t’attend»

Vous aviez les yeux bandés?
Seulement à l’approche du lieu d’arrivée. Comme je portais une casquette, les deux hommes qui m’entouraient sur la banquette arrière me l’ont baissée sur les yeux. Mais je savais qu’on était dans le 77, en Seine-et-Marne, un département voisin du Val-de-Marne. J’avais vu peu avant la station-service Total Energies de Pontault-Combault.

La station-service Total Energie de Pontault-Combault.
Une station-service Total Energies à Pontault-Combault.Image: dr

Que vous êtes-vous dit en voyant que vous vous trouviez dans la cambrousse en Seine-et-Marne?
J’ai compris que je n’avais pas affaire à de vrais policiers. J’ai dit à l’un d’eux:

«Monsieur, vous n’êtes pas des vrais policiers? Il m’a répondu: "Il y a un responsable algérien, il veut te voir, il veut te parler. T’inquiète pas, après on va te reconduire chez toi"»

Quand on est arrivé, ils m’ont mis la tête en arrière et m’ont forcé à avaler des pilules, pour me faire dormir. Ils m’ont conduit dans un conteneur aménagé.

La détention

Et ensuite?
Quand je me suis réveillé, il faisait jour et il y avait deux filles à l’intérieur du conteneur. L’une d’elles portait un masque noir et un hijab. L’autre portait aussi un masque et avait recouvert ses cheveux avec la capuche de son survêtement. J’étais encore sous l’effet des somnifères, comme dans un réveil après une anesthésie. J’avais du mal à bouger et à parler et mes mains étaient toujours menottées dans le dos.

«J’avais passé la nuit comme un esclave»

Avez-vous une idée de l’origine de vos ravisseurs?
Je ne peux pas répondre avec exactitude. J’ai reconnu un accent algérien chez l’un de mes ravisseurs lorsqu’il m’a dit quelques mots en arabe. Mais sinon, ce que j’entendais, c’était un français de France, sans accent étranger. L’un des ravisseurs m’a dit et c'était totalement surprenant: «On a changé les plans, on va t’emmener à Amsterdam.»

Les deux filles

Quel était le rôle des deux filles?
Elles avaient pour mission de me surveiller en journée. Dès que je me réveillais, elles appelaient les gars, qui, eux, étaient dehors. Ils venaient alors me donner des pilules pour continuer à me faire dormir. Il ne fallait pas que je puisse aller aux fenêtres ni à la porte du conteneur pour crier. J’ai demandé à l’une des filles:

«Excuse-moi, qu’est-ce que je fais là, pourquoi vous m’avez emmené ici?»

Elle m’a répondu: «On va te libérer si tu rends ce que tu as pris.» J'ai demandé: «Rendre quoi?» Elle m’a dit: «Le camion que tu as détourné à Amsterdam.» Je lui ai répondu que je n’avais aucun lien avec le milieu de la drogue et que je n'avais jamais fumé de cannabis. Elle m’a demandé si j'étais connu. Je lui ai dit: «Bien sûr», et je lui ai demandé de taper Amir DZ sur son téléphone. Elle l’a fait.

Amir DZ a été détenu dans un container.
Amir DZ a été détenu dans un container.Image: dr

Et alors?
En découvrant qui j'étais, elle a paniqué. Elle s'est tournée vers sa copine et elle lui a dit quelque chose que je n’oublierai jamais:

«Nous sommes dans la merde»

Elle avait vu que j’étais un réfugié politique algérien en France, avec demandes d’extradition de l’Algérie, etc. Elle est sortie du conteneur pour aller parler aux gars. Elle est revenue après, toujours paniquée. Elle m’a dit: «Ne t’inquiète pas, ne porte pas plainte, ils vont te libérer. J’ai entendu les gars qui ont dit qu’ils allaient te libérer ce soir.» Elle a répété: «Fais-moi confiance, fais-moi confiance.» C’est comme si elle avait compris qu’elle était embarquée dans une affaire politique.

L'épilogue

Comment votre enlèvement s’est-il terminé?
La nuit suivante, vers trois heures du matin, un homme est entré dans le conteneur. Il portait un bonnet et un cache-col qu’il avait remonté sur son visage pour qu’on ne puisse pas le reconnaître. J’étais toujours dans les vapes et j’avais toujours les mains menottées dans le dos. Il m’a dit, faisant allusion à mes activités d'opposant au régime algérien:

«Pourquoi tu fais ça? Tu as de la famille en Algérie…»

Les propos classiques des soutiens du régime algérien qui me sont adressés sur les réseaux sociaux pour m'intimider. Des hommes m’ont alors sorti du conteneur. Je ne voyais pas leur visage. Ils avaient des lampes de poche. Ils ne voulaient pas allumer les lumières du conteneur de crainte d'être repérés. Ils portaient un bidon.

Un bidon?
Avec une éponge, ils ont passé du liquide de ce bidon sur mes vêtements. C'était de l’eau de javel, pour effacer leurs ADN et toute autre trace. J’ai compris après coup que c’était de l’eau de javel, quand mes vêtements ont commencé à sentir cette odeur et qu'ils avaient blanchi.

«Ils m’ont mis dans une voiture et m’ont fait descendre plus loin sur l’autoroute. Je suis rentré chez moi en stop»

Vous n’aviez plus votre portable?
Ils l’ont brûlé. Ils ont aussi brûlé ma voiture et celle avec dans laquelle ils m’avaient enlevé. Ça, je l’ai su plus tard. Je suis arrivé chez moi vers quatre heures du matin, après 27 heures de captivité. Ma femme était là. Elle avait donné l’alerte en ne me voyant pas rentrer la veille au soir. La police était à ma recherche. Elle avait essayé de me joindre sur mon portable, mais mes ravisseurs l’avaient éteint.

Qu'avez-vous fait une fois rentré chez vous?
J’ai appelé la police. Je me suis rendu au commissariat avec ma femme. J’ai porté plainte. Mon dossier a été transféré à la police judiciaire de Villejuif, dans le Val-de-Marne, qui a enquêté. Après quelques mois d’enquête, c'est le Parquet national antiterroriste qui s’est saisi de l’affaire.

Les répercussions sur la famille

Quel regard portez-vous sur toute cette affaire, y compris sur la décision d'expulser douze agents de l'ambassade de France à Alger?
D'abord, je dirais que le combat que je mène est un combat solitaire, pour ainsi dire suicidaire. Ensuite, la réaction d'Alger montre qu'ils sont en état de panique. Dans un communiqué, ils parlent de moi comme du «voyou Amir DZ». Ce n'est ni le langage de l'Etat de droit, ni celui de la diplomatie.

Votre famille en Algérie pâtit-elle de la situation?

«Le 6 avril, le jour de la visite du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot à Alger chez le président Abdelmadjid Tebboune, ma sœur a été interpellée au domicile de ma mère et emmenée au tribunal militaire avant d'être relâchée»

Elle ne fait pourtant pas de politique. Mon frère, dans le passé, a été arrêté. Il y a eu des perquisitions chez mon père, aujourd'hui décédé.

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