Une voiture bélier lancée frontalement contre un fourgon, des hommes armés qui ouvrent le feu et tuent plusieurs agents pénitentiaires, un criminel qui s'évade et devient immédiatement l'ennemi public n°1: la fusillade qui a eu lieu en Normandie a provoqué une onde de choc en France où se mêle indignation, tristesse et colère.
Que s'est-il passé dans cette attaque de fourgon carcéral d'une grande violence? Pourquoi un commando a-t-il pris tant de risques pour libérer «La Mouche», qualifié de petit malfrat? Retour sur les évènements.
Il est environ 8h ce mardi matin et un agent du service pénitentiaire français fait démarrer un fourgon. Nous sommes à la maison d’arrêt d’Evreux, en Normandie. «La Mouche» monte à l'arrière. Le véhicule se met en direction du tribunal judiciaire de Rouen, à une heure de route de là. Le taulard, de son vrai nom Mohamed Amra, doit être entendu pour une affaire de tentative de meurtre et d'extorsion avec arme.
L'homme de 30 ans n'est pas un tendre: à Marseille, il a été mis en cause dans une affaire de meurtre en bande organisée, respectivement un «enlèvement et séquestration ayant entraîné la mort». Les détails de l'affaire ne sont pas roses:
Au total, treize condamnations sont inscrites sur son casier judiciaire. Et il ne compte pas croupir en prison pour ses crimes: la veille, il a été pincé en train de scier les barreaux de sa cellule. On a dû le placer à l'isolement dans la foulée et le juge doit aussi l'entendre sur cette tentative.
En conséquence, la sécurité a été renforcée pour ce trajet. Alors qu'habituellement, trois hommes armés sont requis pour assurer la sécurité de Mohamed Amra, ce sont cette fois-ci cinq qui l'accompagnent. Un véhicule supplémentaire roule avec les feux bleus allumés derrière le fourgon.
«La Mouche» ronge son frein durant le trajet d'une heure, en bonne partie sur l'autoroute. Arrivé à Rouen, l'homme est entendu par le juge dans la matinée. Puis, c'est «retour au bercail». Mais rien ne va se passer comme prévu.
Peu après 11h, le fourgon passe un simple péage à hauteur de la commune d'Incarville, à mi-chemin du trajet. Il roule derrière un camion qui peine un peu à repartir, alors que le deuxième véhicule de l'administration pénitentiaire le suit de près.
Soudain, un SUV noir — une Peugeot 5008 — débarque à toute allure à contresens et vient percuter frontalement le fourgon. La porte de la voiture-bélier s'ouvre et un homme armé en sort.
Dans le même temps, au moins deux autres assaillants, habillés en noir, cagoulés et armés de fusils d'assaut, déboulent sur les côtés et à l'arrière. Un autre a un fusil à pompe dans les mains. C'est une embuscade.
Le deuxième véhicule de l'administration pénitentiaire affrété pour renforcer la sécurité de Mohamed Amra ne peut pas faire marche arrière. Le fourgon se retrouve bloqué.
A partir de là, les choses vont très vite. Les tirs commencent à fuser. Les agents pénitentiaires ripostent avec leurs pistolets Sig Sauer, mais deux d'entre eux sont mortellement touchés par le commando. Un des malfaiteurs est blessé.
Sur les images des caméras de sécurité, on peut voir la portière conducteur du fourgon s'ouvrir et un homme s'effondrer au sol. De la fumée causée par les tirs s'élève autour des véhicules. Puis un des hommes armés fait coulisser la porte latérale du fourgon: «La Mouche» est évacuée.
Les assaillants jettent un objet dans la voiture-bélier. Après une explosion dans l'habitacle, celle-ci prend feu. Alors que la fumée monte sur le péage, les hommes en noir prennent la fuite. Une flaque de sang est visible à côté du véhicule de l'administration pénitentiaire. La scène n'aura pas duré plus de trois minutes.
Les fuyards quittent les lieux du crime dans deux puissants véhicules: une BMW série 5 et une Audi A5. Ils laissent dans leurs sillages deux corps: celui d'un père de famille de 52 ans, qui devait fêter l'anniversaire de ses jumeaux de 21 ans le lendemain. L'autre, âgé de 35 ans, attendait son premier enfant: sa femme est enceinte de cinq mois.
Les trois autres agents ont été blessés dans la fusillade. L'un d'entre eux est dans un état grave. Emmené en urgence à l'hôpital, il se trouve entre la vie et la mort.
La police française envoie aussitôt les gros moyens pour retrouver l'homme: 450 gendarmes sont sur sa trace, dont de nombreux motards, ainsi qu'un groupe du GIGN, des hommes de la BRI nationale, les brigades de répression du banditisme et la brigade nationale de recherche des fugitifs. Un hélicoptère est engagé. Interpol a mis Mohamed Amra tout en haut de sa liste de fugitifs recherchés.
Malgré le «plan Epervier» décidé par les autorités, les auteurs de l'embuscade ne sont pas pris. La BMW est retrouvée carbonisée à une trentaine de kilomètres de là. Le second véhicule est, lui aussi, retrouvé noirci par les flammes, dans la journée.
Comment et pourquoi une telle opération pour sauver «La Mouche»? Originaire de Normandie, le criminel est lié au crime organisé marseillais et à des commanditaires du trafic de drogue entre les Antilles et la Cité phocéenne.
Mais pour l'administration pénitentiaire, il ne s'agissait — jusqu'à présent — pas d'un des profils les plus dangereux du grand banditisme:
Il n'empêche: «La Mouche» est désormais l'homme le plus recherché de France.