Hassan Iquioussen est en fuite. C’est fou, comme les choses vont parfois. Aucun observateur du fait islamiste en France ne peut dire de bonne foi qu’il s’attendait à ce que l'imam fasse l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire national. D’abord, tout le monde ou presque pensait que cet homme, né dans le Nord de la France en 1964, était français. Ensuite, parce que, dans sa longue carrière de prédicateur, il n’avait jamais été réellement inquiété, en dépit de prêches «salés» sur les juifs, les femmes et les homosexuels, malgré ses mises en opposition de l'islam et de l'Occident.
Et puis, le 28 juillet, on a appris que le ministère de l’Intérieur avait décidé de l’expulser de France, pour l’ensemble de son «œuvre», pourrait-on dire. Son permis de séjour de dix ans n’était pas renouvelé. Une destination l’attendait alors: le Maroc. D’où sont originaires ses parents et dont il a hérité de la nationalité, la seule qu’il ait. Mais, contestant cette décision, il faisait appel et le tribunal administratif lui donnait raison.
Sur ce, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, saisissait le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative du pays. Qui a fait connaître sa décision mardi 30 août: Hassan Iquioussen est bien expulsable. Des policiers se rendaient peu après à son domicile de Lourches, dans le département du Nord, où son père, un Berbère de la région d'Agadir, était arrivé en 1936 pour y travailler à la mine.
La police frappe à la porte. Pas de réponse. Hassan Iquioussen est introuvable. Marié à une Marocaine, père de cinq enfants majeurs et grand-père de quinze petits-enfants, tous français, il est en fuite, désormais «inscrit au fichier des personnes recherchées». Le Maroc qui devait l'accueillir, fait volte-face, selon la radio Europe 1. Des rumeurs disent l'imam en Belgique voisine, où l’islam politique – Iquioussen étant issu de la mouvance frériste (Frères musulmans) – est bien implanté.
Quelques heures plus tôt, lorsqu’est tombé le couperet du Conseil d’Etat valant expulsion pour le prêcheur, Gérald Darmanin ne cachait pas sa satisfaction. Les jours précédant ce dénouement, deux médias français, Médiapart et Le Parisien, avaient mis au jour, pour l’un, une transaction immobilière datant de 2003 entre un oncle paternel du ministre et le prédicateur en personne, pour l’autre, un dîner partagé en 2014 par Darmanin avec le même Iquioussen. A des fins, semble-t-il, électorales: obtenir les «voix musulmanes».
Huit ans séparent 2022 de 2014. Entre-temps, de lourds attentats islamistes ont endeuillé la France. Et en 2021, une loi dédiée à la lutte, entre autres, contre la diffusion de l’idéologie islamiste, adoptée à la suite de l’assassinat, un an plus tôt, du professeur Samuel Paty par un jeune djihadiste tchétchène, est entrée en vigueur. Ces nouveaux éléments expliquent grandement, selon les observateurs, la décision du Conseil d’Etat.
Cela dit, pourquoi n’avoir pas expulsé Hassan Iquioussen il y a dix ans déjà, en 2012, ou même il y a vingt ans, en 2002, les années où son permis de 10 ans a dû être reconduit? Il apparaît en effet que celui qui se faisait appeler, à l’époque, le «prêcheur des cités», était défavorablement connu du renseignement français depuis 1994 déjà, rappelle Le Figaro.
Joint par watson, l’ancien «Monsieur Islam» au ministère de l’Intérieur au tournant des années 2000, Bernard Godard, affirme que «le contexte n’était pas le même». «Ce qu’on traquait à l’époque, et ce, depuis de premiers attentats en 1985 et 1986, c’étaient les cellules islamistes susceptibles de passer à l’action terroriste», relate-t-il.
«Mais, et cela a changé depuis les grands attentats commis à partir de 2015, l’expulsion d’idéologues islamistes étrangers n’appelant pas à l’action violente, quand bien même ils auraient tenu des propos choquants, n’était pas le choix des pouvoirs publics», poursuit Bernard Godard,
Il n’empêche, il y avait bien un moyen de pression – ce moyen demeure – sur les acteurs étrangers de l’islam politique:
Si Hassan Iquioussen a pu faire renouveler ses permis de séjour de 10 ans les fois précédentes, jusqu'au présent refus, la France, connaissant l’activisme islamiste du «bonhomme», a rejeté par deux fois, la seconde en 1999, sa demande de nationalité française. Il l’avait pourtant obtenue automatiquement à ses 18 ans, en vertu du droit du sol prévalant en France. Mais son père, peut-être avec l'accord de son fils, l’avait répudiée pour ne pas entacher l’identité marocaine et surtout musulmane de sa progéniture.
A ce propos, un ancien compagnon de route de Hassan Iquioussen, en rupture avec l’islamisme depuis une dizaine d’années, confie à watson avoir intercédé auprès des autorités françaises une bonne dizaine de fois pour des «copains», afin qu’ils puissent récupérer leur nationalité française, dont leurs pères avaient fait en sorte qu’ils la perdent. Pour les mêmes raisons identitaires que dans le cas de Hassan Iquioussen.
Ensuite, s’il existe des permis de 10 ans, il en existe de bien plus courte durée: trois mois seulement. «Ce sont les APS, les autorisations provisoires de séjour», rend compte Bernard Godard. Qui cite le cas d’un cadre de Musulmans de France (ex-Union des organisations islamiques de France, frériste), qui vit en France depuis plusieurs décennies et dont le permis de séjour est une APS, à renouveler tous les trois mois. «C’est un moyen de pression, une façon de garder le contrôle sur un individu jugé problématique», explique Bernard Godard.
En attendant que Hassan Iquioussen réapparaisse quelque part, la décision du Conseil d’Etat, jugeant son expulsion conforme à la loi, est un pas supplémentaire dans la lutte, toujours plus politique, mais avec les moyens du droit, contre l’islamisme. L’ancien compagnon de route de Hassan Iquioussen l’assure:
Depuis 2017, 786 étrangers radicalisés ont été expulsés, dont 74 ces derniers mois, a annoncé le ministère de l’Intérieur.