Tel un capitaine sur le pont, Florian Weyer se tient à la fenêtre de son bureau de direction au septième étage de l'administration portuaire. Il pointe son bras vers l'ouest:
A l'ouest du port se trouve le profond canal de la Manche, qui a fait du Havre le premier port de conteneurs de France, explique le jeune directeur. Cela tombe bien: à partir de l'année prochaine, du gaz naturel liquéfié – appelé GNL – arrivera au Havre en provenance des Etats-Unis, à l'ouest, pour être injecté dans les canalisations européennes. Pour Florian Weyer, il s'agit d'«une solution transitoire contre la pénurie d'énergie actuelle».
Contrairement aux quatre terminaux de gaz naturel liquéfié existants en France, celui du Havre pourra traiter du gaz naturel liquéfié provenant de pays lointains comme la Norvège, le Qatar ou les Etats-Unis.
Comment quelques pétroliers peuvent remplacer la puissance permanente d'un pipeline? Cela est rendu possible par le refroidissement à -162 degrés du gaz. Il sera ainsi liquéfié et prendrait ainsi 600 fois moins de place qu'à l'état gazeux. Un pétrolier de 300 mètres de long transporte en moyenne 160 000 mètres cubes de GNL avant que celui-ci ne soit réchauffé dans le port de destination pour être consommé. Les navires géants construits principalement en Corée du Sud, avec des réservoirs typiques en forme de dôme, peuvent tout juste accoster au Havre:
Il n'en faut pas beaucoup plus pour un terminal portuaire mobile de GNL. Le groupe français Totalenergies fournit une station relais flottante. Elle doit réchauffer le GNL livré et le retransformer en gaz. De tels terminaux gaziers mobiles sont actuellement prévus du Portugal à la mer du Nord allemande. «Ils nous épargnent des travaux de construction longs et coûteux pour un terminal fixe», explique Weyer. Il ajoute:
Le GNL, solution de secours de l'Europe pour le gaz russe? Xavier Lemarcis ne peut qu'en rire. Autour d'une salade au bistrot de la gare du Havre, le représentant de l'association France Nature Environnement déclare: «Le GNL ne résout pas les problèmes, le GNL crée des problèmes». Puis l'ancien professeur de chimie et de physique pose sa fourchette et explique dans un souffle: le GNL nécessite lui-même une énorme énergie pour le refroidissement, puis pour le réchauffement.
En termes de bilan carbone, le GNL est moins bien loti que le gaz de pipeline, et pas beaucoup mieux que le lignite. De plus, le GNL est doublement polluant: pour le réchauffage à l'eau de mer, il faut ajouter du chlore. Et surtout, la plupart des GNL utilisés dans les terminaux portuaires d'Europe occidentale proviennent des Etats-Unis. «Cela signifie qu'il s'agit de gaz de fracturation», souligne Lemarcis.
La fracturation, qui consiste à extraire l'énergie fossile des roches de schiste à l'aide de pressions et de produits chimiques, n'est pas autorisée en France ou en Allemagne pour des raisons écologiques. «L'importation est en revanche autorisée», s'énerve Lemarcis.
L'accès au site de construction du futur terminal méthanier près du quai Bougainville Sud étant interdit, Lemarcis ne peut que montrer ce qui l'a frappé en tant que chimiste en longeant l'immense zone portuaire qui ne peut être ignorée: «2,3 kilomètres plus loin se trouvent trois usines d'engrais et autres usines classées Seveso. Tout cela est hautement explosif – ce n'est pas exactement ce que l'on souhaiterait à proximité d'un terminal gazier».
Nicolas Guillet se joint maintenant à la direction du port. Le représentant des Insoumis au Havre sort une pétition pour protester contre l'autorisation précipitée du terminal. «En apparence, la préfecture a organisé un "débat public" en octobre dans la ville; en réalité, elle n'a fait que présenter son projet», raconte-t-il. Le Conseil constitutionnel de Paris a estimé que le terminal méthanier ne serait autorisé que si la sécurité d'approvisionnement de la France était «gravement menacée». Or, ce n'est pas le cas, du moins cet hiver, les stockages de gaz français étant pleins.
Mais le GNL qui arrive au Havre n'est pas seulement destiné à la France, mais aussi à d'autres pays européens. «L'Allemagne pourrait notamment recevoir du gaz en provenance du Havre», estime Nicolas Guillet. Le président Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz avaient convenu en septembre que l'Allemagne fournirait de l'électricité à la France tant que les centrales nucléaires françaises seraient en panne. En contrepartie, la France livrerait du gaz outre-Rhin.
L'Allemagne construit certes deux terminaux méthaniers, mais elle a bien besoin du gaz de la France. Des pays comme la Belgique ou la Suisse entrent également en ligne de compte comme acheteurs.
Guillet estime que plus de la moitié du nouveau gaz qui transitera par l'Europe de l'Ouest sera probablement du gaz de schiste. Il regrette que sa pétition n'ait réuni que 3000 signatures contre le terminal du Havre. Dans la ville portuaire, la plupart des gens peuvent apparemment s'accommoder de la technologie du GNL. D'autant plus que tous les responsables affirment, la main sur le cœur, qu'il ne s'agit que d'une solution transitoire.