Chacun sa bataille lorsqu'il s'agit d'offrir du sens à ce sacro-saint «vivre ensemble». En ville, certains rêvent secrètement de rétablir la peine de mort pour ceux qui imposent leur musique à autrui. D'autres jetteraient en taule ceux qui s'affichent en pantacourt. On pourrait aussi imaginer torturer les propriétaires de trottinette électrique.
A Béziers, commune française de 78 000 habitants, il semble que l'ennemi public numéro un soit la crotte de chien. Cette semaine, son maire, Robert Ménard, a sorti les armes.
Disons plutôt qu'il vient de remporter une guerre qui dure depuis bientôt dix ans. En 2016, Robert Ménard voulait déjà ficher les bandits canins, pour être en mesure de punir leur maître, en cas de caca illégal. Car, à l'entendre, Béziers est littéralement dans la merde.
Or, à l'époque, l'arrêté municipal brandi par l'élu indépendant fut stoppé net au tribunal administratif de Montpellier, par l'ancien sous-préfet, jugeant la proposition «attentatoire aux libertés». 2023, nouvelle tentative (victorieuse), mais enrichie d'un petit shoot de technologie. Objectif, prélever l'ADN de tous les chiens de la ville afin de remettre un passeport génétique aux propriétaires. Sans lui, pas de balade «dans l'hypercentre de Béziers» pour Médor. L'ancienne figure de l'extrême droite (aujourd'hui repentie et proche de Macron) parle d'un «véritable fléau» qui doit «être réglé une bonne fois pour toutes».
Histoire de caresser le porte-monnaie de ses citoyens dans le sens du poil, la ville invite chaque maître et maîtresse à s'inscrire gratuitement pour un prélèvement salivaire (dans la bouche de l'animal, pas celle du maître). Ce qui sera moins gratuit, en revanche, c'est la punition en cas d'infraction: 38 euros d'amende pour les contrevenants attrapés sans permis et 122 euros de frais de nettoyage, pour ceux qui n'auraient pas ramassé l'offrande nauséabonde du toutou.
Le maire, inlassablement populiste, a d'ailleurs anticipé les pinailleurs, inquiets pour les milliards de touristes désireux d'offrir spécifiquement un caca espagnol ou parisien à la ville de Béziers.
Cela dit, la mairie de Béziers n'a pas découvert l'Amérique. Plusieurs villes ont déjà testé le flicage des crottes de chien telles des enquêteurs de la série Les Experts. Valence, pour ne citer qu'elle, fait office de très bon élève en Espagne, depuis la mise en place du fichage génétique: 90% de caca non grata en moins en six mois.
Plus généralement, la chasse à la merde indésirable est un sport international, tant les citadins de tout bord en ont jusque-là. A Genève, plusieurs tonnes de caca sont produites chaque jour. Une habitante en a fait une croisade personnelle, en plantant un petit drapeau au sommet de chaque trésor puant qu'elle croise sur sa route: «L’idée m’est venue à force de marcher dedans!», explique-t-elle gaiement au journal GHI.
A Lausanne, par exemple, le flagrant délit de délestage de matière fécale animale est puni de 150 francs. Notons (pour l'anecdote) que la capitale vaudoise prévoit également une amende de 200 francs pour tout bipède qui déciderait de déféquer dans l'espace public.
Dans notre pays, il fut un temps où les startups d'ADN canins poussaient fièrement la porte, à l'image de la société américaine PooPrints (littéralement empreintes de caca). En 2022, 20 Minuten s'était d'ailleurs enquis de son cœur de cible: «Les régies et les campings dans un premier temps. La procédure est simple: si un propriétaire de chien veut emménager dans un appartement, il doit faire enregistrer son animal dans une banque de données ADN». Une technologie qui a fait ses premiers petits pas en Allemagne, en 2008 déjà.
Si Londres et plusieurs grandes cités européennes ont, à un moment donné, craqué pour le fichage ADN, la norme reste néanmoins l'intelligence collective et le flicage traditionnel en mode: «je te chope, tu paies». Espérons qu'à Béziers, depuis que le maire en a chié une pendule, l'expérience sera concluante. Réponse en 2025, pour le bilan.