François Bayrou a su trouver les mots pour obliger Emmanuel Macron à le nommer premier ministre: c'est moi ou je fais exploser notre alliance. Peu importe le chantage, à vrai dire. Ne pas désigner François Bayrou chef du gouvernement, alors que son nom circulait avec insistance, alors qu'on sait ce que le président lui doit, c'eût été lui cracher à la figure.
Le voilà premier ministre, à 73 ans. Le minimum et une revanche pour ce Pyrénéen qui serait certainement devenu président de la République en 2007 s’il avait été présent au second tour, face à Nicolas Sarkozy. Malheureusement pour lui, la socialiste Ségolène Royal, qui n’avait aucune chance de battre le candidat de la droite, le devança au premier tour. C’en fut fini de ses chances d’accéder au sommet de l’Etat.
Il avait été jusque-là sur une pente ascendante qui le rapprochait de l'Elysée. En 2012, lors de la précédente campagne présidentielle, la gifle qu’il avait donnée à un enfant de 11 ans qui lui «faisait les poches», avait fait le tour des télévisions sans lui porter préjudice, au contraire.
Rempli d’ambition, pas facile gérer, en un mot, chiant, le baron du Béarn, contrairement à d’autres, n’a jamais trahi les majorités qu’il a servies avec son parti de centre-droit, le Modem, héritier de l’UDF, dont il fut le secrétaire général dans ses jeunes années. Il a certes chèrement monnayé son appoint en chaque occasion. Seule infidélité: en 2012, quand, comme beaucoup de Français lassés d’un sarkozysme exténuant, il appela à voter pour le débonnaire François Hollande au second tour.
François Bayrou – il insiste pour qu’on dise «baillerou» et non pas «bérou» – est de cette France qui n’est pas majoritaire, qui l’est moins que jamais à l’heure des populismes, mais à laquelle certains croyaient encore dans les années 1990. Catholique, il avait foi dans l’Europe fédérale des pères démocrates-chrétiens de la construction européenne.
François Bayrou n’a jamais été détesté des Français – cela pourrait changer dès lors qu’il dirigera le gouvernement. Il leur est arrivé de se moquer de ses grandes oreilles et de son orgueil de chien battu, mais de le détester, non.
Rien de victimaire chez ce faiseur de majorités, mais quelque chose d’attachant ou qui invite au respect. Bègue à l’adolescence, il surmonte son bégaiement. Fédéraliste, il est enraciné dans son département des Pyrénées atlantiques – il parle couramment le béarnais. Fils d’agriculteurs, la passion des chevaux, il a du crottin aux semelles.
Posant pour la presse lors de la campagne présidentielle de 2007, il ne fait pas «tarte» au volant de son vieux tracteur – il saura rappeler son origine paysanne aux agriculteurs actuellement en colère. François Bayrou est de cette épaisseur physique des gens endurants. Marié, il est père de six enfants. Il ne joue pas l’authenticité. Elle lui est naturelle.
L’authenticité ne vaudrait rien si l’on s’en contentait. Il est tout sauf un identitaire. Bégaiement dompté, il entame des études, passe l’agrégation de lettres classiques, longtemps le plus français des diplômes du supérieur, qui vous ouvrait grand les portes de l’enseignement et celles du pouvoir aussi.
Emmanuel Macron avait besoin de François Bayrou pour se faire élire la première fois en 2017 et François Bayrou avait besoin d’Emmanuel Macron pour obtenir des sièges à l’Assemblée nationale. Partageant une origine provinciale, l’un est issu de la bourgeoisie terrienne, l’autre, fils de médecin, de la bourgeoisie citadine, ils se sont retrouvés sur l'idée du dépassement de la droite et de la gauche. Mais hormis cela, on ne voit pas ce qui réunit ces deux mondes en même temps que ces deux générations.
Il y a un doute. Si François Bayrou est un candidat courageux – il avait fait campagne sur le gouffre de la dette en 2007 –, son courage est-il intact lorsqu'il accède à l'exécutif national? Têtu, le Béarnais, une fois aux manettes, aurait tendance à se montrer velléitaire, ou calculateur – le travers des leaders de petits partis.
Homme modéré, le pragmatisme du centriste, sa lâche mollesse, diront certains, il n’avait pas mené à terme une réforme des lycées lorsqu’il était ministre de l’Education nationale de 1993 à 1997. De même fut-il un éphémère ministre de la Justice en 2017, mais cela était dû à son implication présumée dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Modem, dont il sortit blanchi en 2023. Aujourd'hui, avec son âge de vieux sage et un Emmanuel Macron en retrait sur la scène intérieure, il aurait tort de manquer d'audace et de panache. Il a tout à rattraper et se voit peut-être à l'Elysée.
C’est en maire de Pau que ce biographe du roi Henri IV, qui mit un terme provisoire aux guerres de religion en proclamant l’Edit de Nantes en 1598, fait son entrée à Matignon, un 13 décembre, jour anniversaire de la naissance de son héros au panache blanc. On se quittera sur cette image, en se rappelant que la fin fut tragique pour le «bon roi Henri». Mais tout le monde se souvient de lui.