C’est une nuit des longs couteaux qui s’éternise. Qu’en sortira-t-il? Une clarification ou le chaos? «Pour l’instant, c’est le chaos», commente le politologue français Gérard Grunberg, joint par watson. Ce spécialiste de la gauche observe le jeu de massacre au sein du Nouveau Front populaire (NFP), la coalition spécialement créée pour les élections législatives anticipées de juin, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président de la République, Emmanuel Macron.
Alors qu'un nouveau gouvernement tarde à être nommé, le NFP (France insoumise, socialistes, écologistes et communistes) semble au bord de la noyade, s'accrochant à la bouée Lucie Castet, sa «candidate» au poste de premier ministre.
«Seule l’élection présidentielle intéresse Jean-Luc Mélenchon, reprend le politologue au bout du fil. Son but est d’en hâter la date, prévue en 2027, pas avant trois ans. Il apprécie peu Lucie Castet, qu’on voit partout et qui se prend pour la cheffe de la gauche, pense-t-il. Or, à gauche, dans son esprit, il n’y a qu’un chef possible, lui».
Dans une interview au magazine Le Point, mardi, Raphaël Glucksmann, le mieux élu des têtes de listes de gauche aux élections européennes du 9 mai, fait l’éloge du compromis en politique, dès lors qu’aucun parti n’a la majorité au parlement. Il appelle à «tourner la page Mélenchon et Macron», mais c’est le premier qu’il a dans le collimateur. Il appelle la gauche non LFI à «rompre» avec le leader lfiste.
Dans ce cas, pourquoi Raphaël Glucksmann a-t-il soutenu la création du NFP, qui comprend ses ennemis les insoumis? Pour empêcher le Rassemblement national d’arriver au pouvoir, mais maintenant, c’est Mélenchon qu'il faut écarter, afin de renouer avec une gauche social-démocrate, répond-il en substance. Les travaillistes britanniques, emmenés par Keir Starmer, le nouveau premier ministre du Royaume-Uni qui a tourné la page du Mélenchon d’outre-Manche (Jeremy Corbyn), sont l’exemple à suivre, selon lui.
Cela ne nous renseigne toujours pas sur le nom du prochain ou de la prochaine locataire de Matignon, siège du premier ministre. Bernard Cazeneuve?
L’ancien premier ministre du gouvernement socialiste de François Hollande entre décembre 2016 et mai 2017 est détesté par les insoumis, qui voient en lui un «traître» à la gauche.
Bernard Cazeneuve est celui que Jean-Luc Mélenchon accuse d’avoir «permis de tuer» le militant écologiste Rémi Fraisse. Ce dernier est mort des suites de l'explosion d'une grenade offensive lancée par un gendarme, lors de violents affrontements sur le chantier d’une retenue d'eau, à Sivens, dans le département du Tarn, en octobre 2014. Bernard Cazeneuve était ministre de l’intérieur au moment des faits. L’enquête a abouti à un non-lieu.
De son côté, la députée LFI Rachel Kéké appelle à descendre dans la rue si Bernard Cazeneuve devait être choisi par Emmanuel Macron à Matignon:
Dans le cas où Emmanuel Macron devra choisir Bernard Cazeneuve comme premier ministre, nous devrions nous tenir prêt à aller dans les rues afin d’arracher notre victoire.
— Rachel Keke (@KekeRachel) August 19, 2024
Chers français et françaises, l’union fait la force.
Cazeneuve, qui a quitté le Parti socialiste, ne met pas seulement la France insoumise en rogne. Il divise aussi les rangs du PS. Olivier Faure, le patron du parti, n’est pas sur sa ligne. La personnalité de l'ex-premier ministre de François Hollande réveille les «gauches irréconciliables».
L’expression date de février 2016. Le socialiste Manuel Valls, alors chef du gouvernement, désignait par ces termes, d’une part, une gauche laïque, la sienne et celle de Bernard Cazeneuve. De l'autre, une gauche prête à composer avec le communautarisme – l’un des principaux reproches adressés aux insoumis par une partie de la gauche, y compris à l’intérieur du NFP.
«Cazeneuve a des soutiens au PS: le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol, la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, deux potentiels futurs ministres, reprend Gérard Grunberg. Mais nommer Cazeneuve premier ministre serait prendre le risque de la zizanie au PS, au moment où l'on voudrait en faire un partenaire de gouvernement».
L’enjeu principal à gauche reste le maintient ou non de l’«union de la gauche», avec LFI à bord.
Et si Emmanuel Macron nommait un premier ministre de droite, Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, deux noms cités chez les Républicains? «Il est probable que les socialistes resteraient en retrait, dans l’opposition», répond Gérard Grunberg. Pour qui, décidément, «la France n’est pas encore sortie du chaos politique». La rencontre, vendredi, entre le président de la République et les responsables des partis politiques présents à l'Assemblée nationale permettra-t-elle de débloquer la situation?