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Ruffin et Glucksmann peuvent sauver la gauche française

Ces deux fringants quadras peuvent sauver la gauche française

François Ruffin et Raphaël Glucksmann pourraient sauver la gauche française.
François Ruffin (à gauche) et Raphaël Glucksmann ont l'avenir de la gauche française entre leurs mains.Image: Keystone/watson
Aujourd'hui disloquée, la gauche française sait qu'elle doit se présenter unie pour espérer revenir un jour au pouvoir. Mais avec qui? Deux fringants quadras que tout oppose, François Ruffin et Raphaël Glucksmann, mettent en scène un début de réconciliation. Prélude au retour de la gauche au pouvoir? On n'y est pas. Il y a des conditions à remplir, que détaille le politologue Bruno Cautrès.
25.01.2024, 18:5526.01.2024, 11:45
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Deux fringants quadras tentent ces jours-ci un «truc». Un «truc» tout bête, mais très peu évident: se parler avec respect. La gauche française en est là. Engluée dans ses divisions, elle ne sait plus dialoguer.

La «bordélisation» du débat public voulue par Jean-Luc Mélenchon, stratégie mise en œuvre par ses snipers à l’Assemblée nationale, a disloqué les rangs de la gauche. Les propos tenus par des élus de La France insoumise (LFI), le parti du même Mélenchon, au lendemain de l’attaque terroriste du Hamas, décrite comme un «acte de résistance», sont de ceux qui ne permettent plus d’envisager, du moins pour l’heure, un destin commun avec de tels partenaires.

Eh bien non! Contre la fatalité du chaos, François Ruffin le «révolutionnaire» et Raphaël Glucksmann le «social-démocrate» font assaut d’amabilités – ça n’empêche pas les vacheries. Voilà deux hommes de gauche que beaucoup sépare, qui se disent qu’ils ont l’un et l’autre un coup à jouer. L’enjeu: permettre à la gauche de revenir un jour au pouvoir en offrant une alternative au Rassemblement national, où s'est réfugiée une bonne partie de l'électorat populaire.

C’est François Ruffin, député LFI de la Somme, l’un de ces départements du nord de la France fauché par la désindustrialisation, qui a pris l’initiative du rabibochage. A l’ancienne. Par écrit. «Cher Raphaël Glucksmann», commence-t-il sa lettre datée du 19 janvier, adressant ses «meilleurs vœux» au député européen, fortement pressenti pour conduire la liste socialiste aux élections européennes de juin prochain.

«Hors sol, déconnectés, sans ancrage»

Cette lettre est surtout l’occasion pour François Ruffin de dire ce qui l'oppose à Raphaël Glucksmann, dont il décrit les propos tenus quelques jours plus tôt dans une interview au Monde comme étant «hors sol, déconnectés, sans ancrage». Celui qui s’est fait connaître en 2015 avec une comédie documentaire raillant le PDG de LVMH, Bernard Arnault, se veut tout l’inverse. Enraciné, proche des gens.

François Ruffin vante les mérites du référendum, qui donne la parole aux citoyens. Il reproche à Glucksmann de trop se réclamer de la démocratie représentative. Le rappel du référendum de 2005 lors duquel les Français avaient dit «non» à 55% (80% chez les ouvriers) au Traité constitutionnel européen jugé trop libéral, montre dans quel camp François Ruffin se situe. Avec le peuple. Contrairement au Parti socialiste qui avait appelé à voter «oui»...

Ensuite, le député de la Somme se demande si Raphaël Glucksmann n’est pas un peu fou de préconiser l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Il imagine le dumping social que cet élargissement selon lui provoquerait au détriment des salariés français, déjà durement touchés par les délocalisations suite à l’entrée des pays d’Europe centrale dans l’UE.

Le camp «de la gauche et du progrès humain»

Le ton est franc, mais courtois. Le plus important, dans cette lettre, est sans doute que François Ruffin reconnaisse Raphaël Glucksmann comme appartenant au camp commun «de la gauche et du progrès humain». Dans le même temps, cet adoubement vaut un recentrage de la «gauche radicale», le camp du député de la Somme. Chacun doit faire un pas vers l'autre, comprend-on.

La missive de Ruffin appelait une réponse. Elle est venue cinq jours après, mercredi 24. Dans l’ensemble, Raphaël Glucksmann s'emploie de donner des gages aux classes populaires que François Ruffin se fait fort de représenter. Personne ne doit douter qu’il est de gauche. Mais il y a un point sur lequel il ne transige pas: l’Ukraine. Il balaie les critiques de son contradicteur, rassure sur les mesures d’accompagnement qu’il faudrait prendre pour éviter qu’une adhésion de Kiev à l’UE ne se transforme en désastre social en France. Cependant, l’essentiel est ailleurs.

Réponse cinglante sur l'Ukraine

Au tour de François Ruffin d’être traité de «hors sol».

«C’est cela, être "hors sol" en 2024 cher François Ruffin: faire comme si la guerre en Europe n’existait pas ou comptait si peu, c’est avoir si peu de considération pour la principale menace pesant sur la sécurité et la stabilité de notre continent et donc, aussi, de votre région et de votre circonscription. Pourquoi ce silence depuis deux ans sur un conflit qui définit l’avenir de l’Europe?»
Raphaël Glucksmann

A l’aise dans son domaine, le député européen enfonce le clou:

«Allons plus loin: en vous lisant, j’ai l’impression que l’ouvrier ukrainien est destiné à prendre la place du "plombier polonais" d’hier. On sent poindre la défense de "nos" travailleurs contre les "leurs". Là apparaît peut-être notre différence la plus fondamentale: vous concevez les luttes sociales et politiques dans un cadre purement national alors qu’il est nécessaire selon moi de les mener, aussi, à l’échelle continentale.»
Raphaël Glucksmann

Le reproche est rude: sans le dire, Raphaël Glucksmann ramène François Ruffin à une période où le Parti communiste tenait à peu près le même discours que tiendrait ensuite le Front national, puis le Rassemblement national aujourd’hui: celui de la préférence nationale au détriment du travailleur immigré.

Mais la lettre se termine, là aussi, d’une manière très polie, sur un «Bien à vous». «L’échange» entre les deux hommes est appelé à se poursuivre.

Pour le politologue français Bruno Cautrès, ce qui est en jeu, dans cette correspondance, c'est «la capacité à s’accepter différents».

«Les différentes composantes de la gauche le savent: pour espérer revenir au pouvoir, la gauche doit partir unie. L’union est toujours valorisée par les Français. La division est perçue comme immature»
Bruno Cautrès

Pour un retour au pouvoir, il faut des idées s'incarnant dans un programme. «Il est donc important de s'approprier des enjeux. Ceux de la gauche sont traditionnellement la justice sociale et l'égalité, mais on a vu que le Rassemblement national concurrençait la gauche dans ce domaine, avec une notion particulière, celle de la préférence nationale, contraire à l'esprit de la gauche», poursuit Bruno Cautrès.

L'immigration, le déni de la gauche?

Justement, en refusant de se salir les mains sur le sujet de l'immigration, la gauche ne se barre-t-elle pas elle-même l'accès au pouvoir? «L'immigration n'est pas la première préoccupation des Français. La santé et le pouvoir d'achat arrivent loin devant. La gauche doit penser l'après-Macron, s'attaquer aux questions des inégalités de longue durée. Je pense ici à ces millions de Français qui vivent dans la pauvreté, sinon difficilement avec un petit salaire et qui n'entrevoient pas de porte de sortie à leur condition. Mais gouverner pour la gauche est ardu.»

«La gauche est en permanence sur la corde raide entre les promesses qu'elle fait et sa capacité à les financer. Elle se doit d'être crédible»
Bruno Cautrès

Que ressortira-t-il de l'échange épistolaire entre François Ruffin et Raphaël Glucksmann? Si la Nupes, l'alliance des partis de gauche et des écologistes, paraît morte, est-ce pour autant la fin de Jean-Luc Mélenchon?

«Pour l'heure, sans doute pas encore, Jean-Luc Mélenchon, avec ses qualités de tribun, garde un socle électoral fort. Surtout, c'est LFI, le parti qu'il a fondé et dont François Ruffin est l'une des figures clés, qui reste une force politique importante. Sa radicalité lui barre sans doute la route du pouvoir. Mais si on compare LFI au Parti communiste des années 1970, il faut se rappeler que dix ans avant l'élection du socialiste François Mitterrand à la présidence de la République en 1981 dans le cadre d'une alliance avec les communistes, ceux-ci dominaient la gauche et donc les socialistes.»
Bruno Cautrès

Autrement dit, dans une stratégie de conquête du pouvoir, Raphaël Glucksmann, ou tout autre personnalité issue du socialisme de gouvernement, pourrait rejouer ce coup-là avec non plus le Parti communiste mais LFI. Pas sûr, toutefois, que l'histoire repasse les plats à l'identique.

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