Le torchon brûle au sein de la France insoumise (LFI). Le parti créé en 2016 par Jean-Luc Mélenchon se déchire dans une sorte de comédie dramatique, un nanar du dimanche soir avec pour intrigue une famille qui lave son linge sale en public. Et notamment à cause du «père» - comme Mélenchon se désigne lui-même - dans un article intitulé «Tuer le père» publié sur son blog et visant notamment la députée de Seine-Saint-Denis Raquel Garrido. Le tort de cette dernière? Avoir critiqué le parti et les positions de certains de ses membres.
Le 6 novembre, le couperet tombe pour Raquel Garrido. La députée est sanctionnée par le bureau du groupe parlementaire LFI. Dans un communiqué du parti, il lui est reproché d'avoir nui «au bon fonctionnement collectif du groupe» par «la diffusion de fausses informations dans la presse» ou «la mise en cause et le dénigrement ad hominem de plusieurs membres du groupe». Pendant quatre mois, la Franco-Chilienne n'aura plus le droit de parler au nom de son groupe à l'Assemblée nationale.
Verdict de la CPI (la Cour pénale insoumise) : 4 mois.
— Raquel Garrido (@RaquelGarridoFr) November 7, 2023
4 mois, cela vous dit quelque chose ? C'est comme Adrien Quatennens.. Pendant 4 mois je n'ai plus le droit de représenter mon groupe parlementaire en tant qu'oratrice dans les discussions générales en Commission des Lois et…
Une suspension de quatre mois, et un symbole fort. Pour comprendre le malaise, il faut faire un saut dans le passé, en septembre 2022, lorsqu'une autre affaire concernant LFI avait défrayé la chronique. L'Insoumis Adrien Quatennens avait lui aussi été suspendu quatre mois pour avoir giflé son épouse, alors que celle-ci lui avait annoncé son intention de demander le divorce. La gifle s'était accompagnée de SMS haineux envoyés par le député du Nord après leur séparation entre le 27 août et le 24 septembre 2022.
Une «affaire Quatennens» qui avait fait couler beaucoup d'encre, notamment en raison de la position ambiguë de Jean-Luc Mélenchon. Le «père» de LFI, qui avait défendu son poulain, avait ainsi tweeté:
Un tweet qui avait valu à Jean-Luc Mélenchon un retour de bâton, notamment pour avoir à peine mentionné la femme d'Adrien Quatennens et d'avoir minimisé les violences conjugales dont celle-ci a été victime, puisque le député a lui-même reconnu les faits. Le chef des Insoumis retweetera quelques heures plus tard:
L'affaire avait entaché le parti et Jean-Luc Mélenchon lui-même. Adrien Quatennens, en décembre 2022, avait fini par être suspendu pour quatre mois par la France insoumise.
Aujourd'hui, Raquel Garrido prend elle aussi quatre mois de suspension. Dans les faits, comme elle l'explique dans une interview accordée au Parisien ce mercredi 8 novembre, il lui est reproché des prises de parole qui révèlent des désaccords politiques au sein du parti, «d'avoir réfuté [dans une discussion avec d'autres membres sur Telegram] tout un argumentaire qui avait été développé pour ne pas qualifier le Hamas d'organisation terroriste» ou encore d'avoir critiqué le cumul des mandats de certains de ses camarades.
Depuis des mois, l'Insoumise n'avait pas hésité non plus à déclarer dans la presse que Jean-Luc Mélenchon n'avait «fait que nuire» à LFI. Mais c'est une interview en particulier, donnée sur Franceinfo le 22 octobre dernier, qui a semble-t-il mis le feu aux poudres. La députée y avait notamment déclaré:
Raquel Garrido dénonce aujourd'hui dans le Parisien une différence de traitement. «Quatennens a eu droit, lui, à une procédure protectrice des droits de la défense. Le groupe des députés LFI dans son ensemble a délibéré pendant plusieurs journées avant de le sanctionner, procédure à laquelle je n'ai pas eu droit. Ma sanction s'apparente, en revanche, à de la justice expéditive», déclare-t-elle, qualifiant une sanction «sévère et humiliante» et une «procédure loufoque».
En parallèle, sur X, la députée a encore insisté sur le fait que «le crime de lèse-majesté ne peut pas exister en démocratie» et assuré être mise de côté «parce que j'ai osé dénoncer la communication masculiniste d'Adrien Quatennens orchestrée par Sophia Chikirou et soutenue par Jean-Luc Mélenchon». Si les principaux intéressés n'ont pas commenté ses propos, certains Insoumis y sont allés de leur commentaires sur X. C'est le cas de François Ruffin, qui, non sans ironie, a demandé la «grille tarifaire» en cas de désaccords politiques internes:
Pourquoi quatre mois et pas deux, ou six, contre Raquel Garrido ? Quel obscur alinéa de quel réglement inconnu décide de cela ? A défaut de pouvoir débattre ensemble, la direction de mon groupe parlementaire pourrait-elle nous fournir la grille tarifaire en cas de divergence…
— François Ruffin (@Francois_Ruffin) November 7, 2023
Depuis des mois, les relations entre Jean-Luc Mélenchon et Raquel Garrido se sont tendues. Pourtant, les deux politiciens partageaient des valeurs communes depuis des décennies. En 2008, par exemple, elle fait partie des socialistes qui quittent le parti pour suivre Mélenchon lorsqu'il fonde le Parti de gauche. Elle est ensuite son avocate et tient le rôle de porte-parole des Insoumis à la transformation du parti en 2016.
Mais dans les colonnes du Parisien, Raquel Garrido assure désormais que LFI n'a pas besoin du «père» pour exister.
Pour la députée de Seine-Saint-Denis, le patron des Insoumis «ne cherche pas à fédérer». Elle a demandé la levée de la sanction. En parallèle, Raquel Garrido enchaîne les interviews dans la presse, à la radio et sur les plateaux télé, où elle continue de critiquer les décisions de LFI et de son leader. Une stratégie qui peut sembler culottée, voire suicidaire compte tenu de ce qui est reproché à l'Insoumise, qui a toutefois assuré qu'elle ne changerait pas de parti.