Le dimanche 10 août une frappe israélienne a tué six journalistes palestiniens dans la bande de Gaza dont Anas al-Sharif, un visage bien connu des téléspectateurs de la chaîne Al Jazeera. Interview de Louise Alluin Bichet directrice des projets à Reporter Sans Frontières.
Quelle a été la première réaction de RSF après la frappe qui a tué les journalistes palestiniens?
Nous étions tous en colère. Il faut appeler les choses par leur nom, il s'agit d'un meurtre et cela doit cesser. Cette frappe revendiquée par l'armée israélienne était totalement ciblée.
Israël a dit que le journaliste Anas al-Shrif était un terroriste, que répondez-vous à cela?
Ces accusations sont totalement infondées. Israël reproduit un procédé déjà employé contre des journalistes d'Al Jazeera en juillet 2024.
Concernant Anas al-Sharif, nous avons alerté la communauté internationale à la fin de l'année 2024 et mis en garde contre une attaque imminente à son encontre. Et si je peux me permettre, si Israël avait des preuves tangibles de liens d'Anas Al Sharif avec des terroristes, qu'est-ce qui lui donne le droit tuer des journalistes de la sorte? La stratégie d'Israël est de faire taire les journalistes à Gaza.
Le professionnalisme des journalistes palestiniens est mis en doute régulièrement par Israël, que répond RSF à ces accusations?
Je tiens à rappeler deux points importants: depuis octobre 2023, Israël a ciblé, tué et massacré des journalistes professionnels palestiniens. Ces personnes étaient formées, elles transmettaient une information de qualité et suivaient un code de déontologie et travaillaient pour des médias reconnus. Plus on les tue et moins on aura de professionnels sur le terrain. Deuxièmement, Israël interdit l'accès à la bande de Gaza aux médias étrangers et critique les informations qui en émanent.
Combien de journalistes sont encore à Gaza aujourd'hui et comment Reporter Sans Frontières travaille avec eux?
Il est difficile de vous donner un chiffre exact, mais je peux vous dire qu'il y a plus de 200 journalistes tués par l'armée israélienne depuis octobre 2023. Concernant notre travail, nous avons des relais fiables et solides sur place. Le rôle des journalistes à Gaza est essentiel, car ils racontent et montrent ce qui s'y passe. Sans eux, le monde n'aurait pas accès à toutes ces images.
Reporters sans frontières dénonce régulièrement le ciblage des journalistes à Gaza, condamner les meurtres de journalistes a-t-il plus d'impact que de dénoncer la mort d'autres civils?
Je ne veux pas faire de hiérarchie de victimes. Ce qui se passe à Gaza est une horreur. Je pense que l'ensemble de la société civile gazaouie est cassée psychologiquement aujourd'hui. Mais il est certain que le sujet du droit à l'information des citoyens, quelle que soit leur nationalité, est un sujet crucial, un sujet démocratique. Et il faut souligner qu'il existe une résolution de l'ONU qui protège le travail des journalistes en période de conflit.
Allez-vous porter plainte envers l'armée israélienne suite à cet événement?
Pour le meurtre d'Anas al-Sharif, je ne peux pas encore vous dire si nous allons le faire, mais nous avons déjà déposé quatre plaintes auprès de la CPI pour crimes de guerre commis. Maintenant, au-delà des enquêtes que nous demandons, il est crucial que le carnage perpétré par l'armée israélienne cesse.
Reporters sans frontières a signé au mois de juillet 2025 un appel de plus de 180 organisations internationales pour suspendre l'accord d'association entre l'UE et Israël, pourquoi?
Cet accord facilitant les échanges économiques entre l'UE et Israël stipule dans son article 2 que le respect des droits humains et des principes démocratiques en constitue un «élément essentiel». Face aux constats des violations flagrantes des droits humains perpétrées par Israël à Gaza et dans les territoires occupés, nous avons demandé une suspension de l'accord d'association UE-Israël.
Ce que vous souhaitiez ne s'est pas réalisé, bien que l'UE ait conclu «qu'il existait des indices selon lesquels Israël aurait violé ses obligations en matière de droits humains», pas de suspension de l'accord ni de sanctions.
En effet, mais nous continuerons à rappeler qu'il y a une responsabilité très nette des Etats tiers qui soutiennent Israël, mais aussi des autres pays qui sont passifs face à cette situation. Nous savons qu'il y a encore des leviers politiques et économiques à activer. L'inaction des Etats est meurtrière.