Ah, la Grèce! Ses îles, ses dieux, sa feta, son Ouzo. Son ciel azuréen et son eau lapis-lazuli, de la couleur du drapeau. Au moment de faire mes bagages, fin août, pour y partir deux semaines, j'hésite à y une ranger une veste légère ou un K-Way. Trente secondes de recherches en ligne m'indiquent que les précipitations sont quasi inexistantes à cette période de l'année. Grave erreur.
Vous pensez bien que je ne suis pas payé pour vous raconter mes vacances (quoique). Car la Grèce, ce n'est pas seulement une destination super avec des gens comme ça 👌. C'est aussi un pays fortement touché par le réchauffement climatique. Et j'aurai mouillé ma chemise pour m'en rendre compte.
Alors que mon avion atterrit à Athènes, fin août, les feux de forêt font rage au nord de la capitale. La Suisse y a même envoyé des Super Puma en renfort.
Lorsque j'en redécolle, quatorze jours plus tard, ce sera après plusieurs jours d'intempéries dantesques, tels que le pays n'en avait plus vu depuis des décennies.
Après une semaine dans les îles, donc, me voilà à Athènes. J'y loge chez mon ami Théo, un confrère journaliste suisso-grec qui travaille au bureau de la capitale d'une grande agence de presse européenne. Ce jour-là, je renonce à visiter les ruines archéologiques de l'agora d'Athènes, parce que justement, on annonce de la pluie. Beaucoup de pluie.
Je me sens bien malin avec ma chemise en lin, sans veste et un petit parapluie dépliable en franchissant la porte du musée Benaki de la culture grecque — au sec. Durant ma visite, la pluie tape déjà fort sur les vitres. Au dernier étage, au café, les serveurs épongent le sol car de l'eau se répand depuis le balcon qui déborde. Pour les cocktails à l'Ouzo au soleil, à contempler l'Acropole, on repassera.
Je profite d'une accalmie pour déguerpir. Théo et moi avons prévu de manger avec Charles, un autre Helvète qui bosse dans le fret maritime et habite dans la capitale depuis quelques mois. Je jette un coup d'œil à un site de météo grec, qui indique qu'il n'y a pas de pluie annoncée, juste quelques nuages. Théo éclate de rire.
Et en effet, de gros nuages sont présents dans le ciel athénien, que la lumière peine à percer. Il me tend une parka, que j'enfile aussitôt.
Sur le chemin du supermarché, tout va bien. Mais quelques achats de feta, de tomates, de halloumi et de confiture de figues plus tard, alors que nous sortons, c'est une autre histoire. Le tonnerre gronde et des rideaux de pluie s'écrasent dans les rues. «Je n'ai jamais vu ça», dit Théo.
Nous traversons la rue en slalomant entre les voitures et nos pieds s'enfoncent jusqu'aux chevilles dans l'eau tiède. Poséidon a décidé de verser ses trombes d'eau sur la ville. Les voitures tracent des rayons dans la couche d'eau qui s'épaissit à vue de nez sur le bitume. Les chenaux et les gouttières crachent par grands jets sur la route; l'infrastructure d'Athènes n'a pas été conçue pour des pluies diluviennes de ce genre.
Au même moment, ailleurs dans la ville, ce sont de véritables torrents contre lequel se battent les Athéniens. Car la ville est bardée de collines (parmi lesquelles l'Acropole, berceau de l'Occident), mais aussi de «cuvettes» vers lesquelles les eaux vont rapidement s'amonceler.
Déluge dans les rues d’Athènes. #κακοκαιρια pic.twitter.com/XmkfZc3RMd
— Romain Chauvet (@RomainChvt) September 6, 2023
Alors que nous atteignons l'appartement de Théo, les chaussettes trempes, il reçoit un appel de Charles: son grand parasol, pourtant intégré à son balcon par une structure en métal, s'est effondré. Il a besoin d'un coup de main pour s'assurer que des éléments en métal ne tombent pas dans la rue depuis le quatrième étage. Nous posons vite fait les courses avant de repartir. Je me mets pieds nus dans mes vieilles chaussures en toile — tant qu'à faire.
Sur le chemin, les torrents redoublent. La rue est entièrement inondée et l'eau remonte presque au niveau des trottoirs. Sur ceux-ci, les averses s'abattent comme des rideaux depuis les lignes d'arbres et les toits des appartements, alors que le tonnerre gronde à tout-va en éclairant le ciel gris de grands éclats violacés. Par moment, il est difficile de voir la fin du bloc.
La Grèce voit les intempéries les plus massives la frapper depuis des années, et il fallait que ce soit le moment où je décide de laisser ma parka à la maison... Mais en fait, ça n'aurait rien changé. Le temps d'arriver chez Charles, je suis trempé jusqu'à l'os. La veste prêtée par Théo, de bonne facture, aurait pu rester sur le porte-manteau et je pourrais tout aussi bien être en maillot de bain.
Chez Charles, au quatrième étage, on constate les dégâts: le pare-sol de la terrasse, une grande bâche en toile qui couvrait la moitié de celle-ci, a accumulé l'eau jusqu'à ce que la structure entière s'effondre. Le poids a fait ployer les barres de fer. Tout est tombé sur les meubles de balcon.
Charles craint justement qu'une des barres la structure soit tombée dans la rue, mais nous n'avons rien vu. Elles auraient pu endommager une voiture ou pire, s'effondrer droit sur quelqu'un.
Il craint d'avoir blessé quelqu'un lorsqu'un voisin monte pour discuter. Mais la raison est moindre: l'eau du balcon s'écoule dans la chambre du pauvre homme. Il faut dire que nous avons les pieds dans l'eau jusqu'aux chevilles, à nouveau. La pluie s'est accumulée sur le balcon, construit avec un rebord. L’eau monte et va bientôt entrer dans le salon. Il y a bien un fin tuyau d'évacuation, mais il semble bouché ou alors son débit est limité.
J'empoigne un grand arrosoir et entreprends de vider le balcon, comme s'il s'agissait d'une barque qui prend l'eau. Le récipient vert de dix litres se remplit en moins de deux. Je balance le tout par-dessus les barrières. Après quelques jets, l'antivol d'une voiture se met en marche dans la rue. Aïe!
Je lance l'eau de l'autre côté, sur un toit plus bas. J'écope une bonne quinzaine de minutes et la pluie semble enfin se calmer. Le salon de Charles est sauvé, même si son balcon est encore bien trempé. J’ai balancé des dizaines de litre par-dessus bord…
Alors que nous rentrons et que je suis sur le point d'enfermer mon téléphone dans un bocal rempli de riz pour la nuit, je reçois un SMS des autorités grecques me demandant à... «limiter tout mouvement non-nécessaire» à cause du danger posé par les intempéries. Merci du conseil.
Et pourtant, Athènes a eu de la chance. La tempête, baptisée «Daniel», n'a touché la capitale et sa banlieue que partiellement et aucun décès n'y est à déplorer, malgré des images impressionnantes de stations de métro inondées et de passants emportés par les flots au milieu de la rue. Le lendemain, tous les gens que je croise me diront qu'ils n'avaient plus vu telle tempête depuis des années.
A 300 kilomètres de là en Thessalie, dans le centre du pays, sept morts sont à dénombrer et plusieurs personnes sont encore portées disparues. Les pluies ont emporté avec elles cultures, bâtiments et routes entières.
Une partie de la route Volos/Portaria n’a pas résisté à la puissance de l’eau. #Grèce #Βολος #κακοκαιρία pic.twitter.com/np05uo7Jet
— Romain Chauvet (@RomainChvt) September 6, 2023
A Magnésie, il a tombé de 600 à 800 mm de pluie en 24h, un record depuis 1955. D'autres décès sont à dénombrer en Bulgarie et en Turquie voisines. Un officiel grec a déclaré:
Des incendies faisant 26 morts, suivis par des inondations presque aussi meurtrières... Ces évènements auraient-ils également eu lieu sans le changement climatique? Je me pose la question en me séchant, alors qu'une salade grecque m'attend sur la table.
Et le lendemain, j'irai acheter de nouvelles chaussures — en flip flops. Et peut-être qu'assister à la tempête grecque de la décennie aura été un plus grand honneur que de rester sur un balcon à siroter des cocktails.