«L'argent est le nerf de la guerre» dit-on. Est-il aussi le nerf de la mobilisation sociale? Après la grève générale en France, qui a réuni entre 1,2 et 2,8 millions de personnes, nous nous sommes intéressés à ce qu'on appelle le «fonds de grève», un outil syndical jouant un rôle capital dans le maintien de la mobilisation. En France, comme en Suisse. A quoi sert-il? Comment est-il alimenté ? Existe-t-il d'autres moyens pour financer les mouvements sociaux? On vous explique tout ça.
Vous n'êtes pas sans savoir qu'un gréviste est une personne qui ne va pas travailler le jour de la mobilisation. Pas de travail, pas de salaire complet (ou pas de salaire du tout). Alors comment fait-elle pour tenir plusieurs jours, voire plusieurs semaines, sans revenu? Eh bien, le syndicat auquel l'employé est affilié le soutient financièrement en lui versant une indemnité journalière. C'est ce qu'on appelle le fonds de grève.
Les syndicats utilisent les cotisations de ses membres pour, notamment, les dédommager durant les grèves. Mais à combien se monte ce «trésor de guerre» accumulé depuis des dizaines d'années? En France, c'est la CFDT qui pointe en haut du classement avec 141 millions d'euros de réserve. Cette tirelire comme l'appelle Radio France a été mise en place en 1973. «Ça fait 50 ans, en gros, qu'on met de côté», explique Jean-Michel Rousseau, secrétaire confédéral en charge de la caisse nationale d'action syndicale. Cet argent n'est pas uniquement destiné à indemniser les grévistes. Il prend aussi en charge les actions juridiques des membres, précise-t-il à Franceinfo.
Et chez nous? Interrogés sur le montant total du fonds de grève, Unia, Syndicom et le syndicat des services publics (SSP) ne souhaitent pas donner le montant total de leur fonds de grève, mais affirment pouvoir tenir sur la durée.
Nous n'en saurons pas plus sur le montant total accumulé par les fonds de grève, mais certains syndicalistes sont un peu plus loquaces à propos des indemnités que perçoivent les grévistes. Montant fixe chez Syndicom et 80% de la retenue salariale au syndicat de la fonction publique (SSP), chacun a sa méthode pour calculer les indemnités, mais tous ont comme point commun l'indemnisation à la journée.
Chez nos voisins français, les membres de la CFDT touchent 7,50 euros de l'heure, avec une carence de déclenchement de 7 heures. «L'objectif, c'est d'avoir de quoi payer 35 heures de grève pour tous les adhérents, soit 600 000 personnes» explique Jean-Michel Rousseau, en charge de la Caisse nationale d'action syndicale de la CFDT à Franceinfo. Attention toutefois à ne pas confondre indemnités et salaire, précise Gabriel Rosenman à 20minutes.fr.
Le fonds de grève ne se substitue donc pas au salaire, mais sa raison d'être, pour Matteo Antonini de Syndicom, est d'«éviter que les gens ne se mobilisent plus à cause des pertes financières».
Outre l'indemnisation par les syndicats, le soutien des grévistes provient aussi des particuliers et des privés. Stéphane Sirot, spécialiste de l'histoire des grèves, raconte à 20minutes.fr qu'avant les soutiens financiers que nous connaissons aujourd'hui, les secours de grève étaient donnés en nature. Une soupe chaude servie par le parti communiste français dans l'entre-deux-guerre ou des cagnottes organisées par des artistes. Le soutien aux grévistes est pluriel. En Suisse, Matteo Antonini se souvient de la mobilisation de la population locale, après l'annonce du démantèlement des Officine à Bellinzone en 2008. (Les ateliers de maintenance des Chemins de fer fédéraux.)
Le soutien des particuliers avait aussi marqué Lucas Dubuis, porte-parole d'Unia, notamment durant la grève des employés de Swissmetal Boillat en 2006. «Lorsqu'une mobilisation touche toute une région, il n'est pas rare de voir les privés faire des collectes et organiser des comités de soutien», ajoute le syndicaliste.
Vous l'aurez compris, le soutien financier à la grève est un atout pour mobiliser les travailleurs syndiqués. Mais est-il pour autant un élément décisif ? Selon Agostino Soldini de SSP, c'est un critère significatif, mais pas décisif pour les employés.
Au syndicaliste d'ajouter que les grévistes français prennent plus de risques que les Suisses au niveau salarial, notamment à cause de leur délai de carence. «En France, les pertes salariales pour les grévistes peuvent être considérables, mais si l'objectif du retrait de la réforme des retraites est atteint, ce risque en vaut la peine.»