Lorsque l'avion russe s'est dirigé vers la mer Baltique, la Suède a fait décoller des avions de combat par précaution. A bord de l'appareil, nul autre que le président Vladimir Poutine. Sa destination: l'enclave de Kaliningrad. En plus d'être le lieu de stationnement d'une partie de la flotte balte, elle est stratégiquement importante, car directement limitrophe de la Pologne, membre de l'Otan.
C'est là que se trouve le corridor de Suwalki, une petite liaison entre la Lituanie et la Pologne. La Russie pourrait le fermer en cas d'attaque et couper ainsi aux pays baltes la voie terrestre vers leurs alliés de l'Otan.
Le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a souligné que la visite de Poutine était prévue et qu'il ne s'agissait pas d'un signal à l'Otan. Mais le son de cloche était encore différent la veille: selon l'agence de presse publique russe RIA, le porte-parole aurait mis en garde contre un danger pour Kaliningrad. Celui-ci viendrait des Etats baltes, qui ont évoqué, à plusieurs reprises, ces derniers temps, une menace militaire de la Russie.
Poutine s'est-il vraiment déplacé juste pour visiter une université dans l'enclave et discuter avec le gouverneur? Pour le président russe, la symbolique joue un rôle important. Le vol de son avion présidentiel près des frontières avec l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie a certainement envoyé un signal: Poutine peut se déplacer librement ici.
Cette visite intervient à un moment où, avec l'adhésion de la Finlande à l'Otan et celle, prochaine, de la Suède, la région de la mer Baltique est plus ou moins contrôlée par l'alliance de défense transatlantique. Le chef de l'armée lettone Leonids Kalnins a demandé, il y a quelques jours seulement, que la région soit placée sous le contrôle de l'Otan et interdite aux navires russes.
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Camille Grand, analyste au Conseil européen des relations internationales, a déclaré au quotidien britannique Telegraph que la visite servait à faire passer plusieurs messages. D'une part, Poutine a assuré aux 490 000 habitants de l'enclave qu'ils faisaient partie de la Russie.
Au contraire, Poutine aurait ainsi précisé que la Russie est bien positionnée militairement à Kaliningrad.
Mercredi, le ministre des Affaires étrangères de Poutine, Sergueï Lavrov, a mis en garde l'Occident contre une guerre avec la Russie. Lors d'une conférence de presse à New York, il a déclaré, selon le magazine américain Newsweek, qu'il espérait que les pays qui parlent de se préparer à une guerre aient un instinct de survie.
Kaliningrad a toujours été une forteresse russe, mais l'enclave a été massivement développée sur le plan militaire depuis 2021. Selon des informations du Centre américain d'études navales (CNA), le 11e corps d'armée y serait notamment installé, avec environ 18 000 soldats. Il serait équipé de chars et de véhicules blindés, et la flotte balte comprendrait 52 navires, dont quatre nouvelles corvettes capables de lancer des missiles de croisière et un sous-marin.
Le port est également important parce qu'il est libre de glace toute l'année. Le CNA indique que plusieurs rampes de lancement de missiles auraient également été construites sur la terre ferme et que des têtes nucléaires seraient stockées à Kaliningrad. La Russie ne l'a toutefois pas confirmé officiellement.
Les récents récits de brouilleurs électroniques dans la mer Baltique et ses environs montrent que la Russie ne fait pas qu'émettre des avertissements. En effet, des perturbations du signal GPS y ont été signalées de plus en plus souvent au cours des derniers mois. Le porte-parole militaire suédois Joakim Paasikivi a déclaré aux médias locaux qu'il considérait ces brouillages GPS comme une ingérence russe ou faisant partie d'une guerre hybride. Apparemment, elles émanent de Kaliningrad.
While airplanes over Estonia are sometimes affected by jammer, yesterday night was intense and probably should be looked into. pic.twitter.com/peCERxtbzh
— Signals Eta (@SignalsEta) January 24, 2024
«Il semblerait qu'au moins un des suspects des attaques de brouillage de Kaliningrad soit un cybercomplexe russe secret appelé Kobol», a écrit Erik Kannike, un ingénieur logiciel estonien qui se penche depuis des années sur les brouilleurs russes.
«Il est important de noter la possibilité que les cybercapacités russes dans l'oblast de Kaliningrad puissent avoir un impact aussi important sur la Pologne et la région balte», a expliqué, la semaine dernière, l'Institut américain d'études sur la guerre (ISW).
Les experts considèrent désormais qu'une menace réelle pèse sur les Etats baltes, et donc sur l'Europe occidentale. Le site d'information estonien Estonianworld cite un rapport du Centre européen d'analyse politique (Cepa) selon lequel les experts sont en train de se mettre d'accord sur la gravité et l'ampleur de la menace émanant de la Russie. Mais il n'y a pas encore de consensus sur la manière d'y faire face.
La visite de Poutine à Kaliningrad ainsi que la symbolique ont probablement fait prendre conscience aux responsables politiques qu'un tel consensus est urgent. «Dans moins de cinq ans, la Russie pourrait être armée au point de menacer au moins les pays baltes. La question se pose de savoir si le reste de la région peut agir assez rapidement au sein de l'Otan et, si nécessaire, aux côtés de l'Otan pour renforcer sa capacité de résistance, de défense et de dissuasion», peut-on lire dans le rapport de la Cepa.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci