Alors que l’espoir d’une trêve grandit, la souffrance et la mort se poursuivent en Ukraine. Bien que la ligne de front, longue d’environ 1100 kilomètres, soit en grande partie stable, notamment près de Kherson, capitale provinciale du sud située sur les rives du Dniepr, la guerre continue de faire rage.
Le fleuve impose un certain statu quo militaire, mais cela ne signifie pas que les combats y cessent. Kherson est la seule grande ville ukrainienne directement située sur la ligne de front. Le Dniepr y mesure entre 500 mètres et un kilomètre de large, et la localité d’Olechky, sous contrôle russe, se trouve à un peu plus de quatre kilomètres.
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Avant la guerre, la ville de Kherson offrait un cadre de vie paisible à environ 275 000 habitants, avec ses cafés chaleureux, ses restaurants et ses trois universités. Au début de l’invasion, elle est tombée rapidement aux mains des Russes avant d’être reprise par l’armée ukrainienne fin 2022, après le retrait des forces de Moscou de l’autre côté du Dniepr.
Depuis, l’artillerie russe bombarde sans distinction les zones résidentielles, tandis que des drones traquent quiconque s’aventure dans la rue, que ce soit à pied, à vélo, en voiture ou en bus. A cela s’ajoutent les frappes aériennes.
Les habitants affirment que leur ville est devenue un terrain d’entraînement pour les pilotes de drones russes. Ces derniers y apprennent, à l’abri du danger, comment tuer avec des petites bombes larguées ou des drones kamikazes, avant d’être envoyés sur des fronts plus difficiles. La terreur contre les civils suit une stratégie bien définie: avec des drones, des missiles balistiques et des frappes de croisière, les Russes cherchent à briser le moral de la population, même à l’ouest de l’Ukraine. A Kherson, cela se répète chaque jour. Pourtant, d’après les autorités, environ 80 000 habitants résistent encore et refusent de quitter la ville.
Se rendre à Kherson est une tâche difficile pour les journalistes occidentaux. A l’entrée de la ville, un point de contrôle imposant filtre chaque véhicule. Une trentaine de soldats en tenue complète, masqués et armés, examinent minutieusement les documents. L’un d’eux demande, avant de nous laisser passer:
Les contrôles ciblent surtout les déserteurs et les collaborateurs potentiels. Les autorités peuvent également refuser l’entrée aux visiteurs s’ils n’ont pas de raison valable d’être en ville. Depuis la reprise de Kherson fin 2022, elle a été bombardée par des dizaines de milliers d’obus et attaquée par des milliers de drones.
Ces derniers mois seulement, plus de 50 morts et environ 600 blessés ont été recensés. Depuis le début de l’invasion, le parquet de Kherson a enregistré plus de 26 000 crimes de guerre. Plus de 1500 civils ont perdu la vie.
Switlana est née et a grandi à Kherson. Malgré le danger, elle refuse de fuir. Agée de 45 ans, elle vit avec son fils dans le quartier de Woenka, l’un des plus exposés, à seulement un ou deux kilomètres des positions russes. Elle croit en une protection divine.
Switlana passe la majeure partie de son temps chez elle, jugeant l’extérieur trop dangereux. Une fois par mois seulement, elle sort pour faire des courses, mais chaque trajet est risqué. Avant de partir, elle envoie son fils vérifier le ciel. Si tout semble calme, ils courent jusqu’à la voiture, dissimulée sous un tas de tapisseries pour ne pas attirer l’attention des drones. Elle a appris à cacher son véhicule après que ceux de ses voisins ont été détruits. Au retour, elle appelle son fils pour s’assurer que la situation est toujours sûre.
«Il m’est déjà arrivé de dormir dans ma voiture toute la nuit parce que je ne pouvais pas rentrer. Les drones étaient partout et larguaient des "pétales"», raconte Switlana.
Ces «pétales» sont des mines antipersonnel. Munies de petites ailes, elles tombent lentement sans exploser à l’impact. Elles restent au sol jusqu’à ce qu’une personne les piétine ou tente de les ramasser.
Dmitri, son voisin, en a fait l’amère expérience. Alors qu’il pêchait, une mine larguée par un drone a explosé près de lui. Il s’en est sorti avec un choc et une jambe brisée. Oro Whitley, un Américain de 49 ans, aide les habitants de Kherson depuis le début de l’invasion. Il leur fournit des générateurs, des vivres, des vêtements chauds, des couvertures et des produits d’hygiène.
Mais il s’indigne aussi:
Malgré la peur, la vie continue à Kherson, du moins en journée. Les transports publics circulent, les hôpitaux fonctionnent et les magasins restent ouverts. Même les enfants jouent au football.
Dès que la nuit tombe, la ville s’éteint. Les rues deviennent désertes, les bâtiments à moitié détruits se dressent comme des spectres. Il n’y a plus de lumières, les habitants masquent leurs fenêtres pour ne pas être repérés par les drones. Kherson s’endort, espérant que cet enfer prenne un jour fin.
(Traduit de l'allemand par Tim Boekholt)