En février 2022, la Russie a envahi l'Ukraine. Depuis, les Russes occupent des territoires à l'est et au sud du pays. En septembre 2022, Vladimir Poutine a utilisé ces pseudo-annexions pour décréter que le sud et l'est de l'Ukraine appartiennent à la Russie. Mais pour de nombreuses personnes vivant dans ces régions, l'invasion russe n'a en aucun cas été synonyme de libération, malgré ce qu'affirme avec insistance la propagande russe.
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C'est ce que montrent, entre autres, l'histoire et l'action d'Alexander Demidenko. Ce Russe de 61 ans a aidé plus de 900 Ukrainiens qui ne voulaient plus vivre sous l'occupation russe à fuir. Le Guardian dresse un son portrait.
Avant de devenir un activiste pacifiste, Demidenko travaillait pour l'industrie russe de l'armement. Il a ensuite changé de métier et est devenu professeur d'histoire et de géographie. Un travail qu'il aimait, malgré le maigre salaire. Raison pour laquelle il a décidé, pour arrondir ses fins de mois, de vendre des livres. C'est grâce à cette activité qu'il a rencontré en 2014 sa femme et actuelle veuve, Natalia Vichnevskaya.
Alexander Demidenko était quelqu'un de lettré et d'intelligent et écrivait même de magnifiques poèmes, explique sa veuve. «Mais il n'avait pas peur de se salir les mains et de travailler dur», ajoute-t-elle.
Le couple a acheté une maison dans un village près de la frontière ukrainienne. Ils souhaitaient un avenir commun tranquille, comme le raconte Vichnevskaya au Guardian. Mais avec l'invasion de l'Ukraine, il était clair que cette idée ne se concrétiserait pas de si tôt.
Demidenko était un opposant de la première heure à la guerre. Et contrairement à d'autres, il n'avait pas peur de défendre ouvertement ses convictions. Le jour de l'invasion, le 22 février 2022, il a manifesté tout seul au centre de Belgorod.
Oleg, son fils aujourd'hui adulte, décrit son père comme un homme «extrêmement têtu», qui a toujours fait passer «ses principes et ses convictions avant sa sécurité et son bien-être».
Il raconte d'ailleurs qu'une fois, alors que le gouvernement russe venait d'adopter une loi officiellement destinée à limiter l'influence des agents étrangers en Russie, mais qui restreignait en même temps la liberté des médias et la liberté d'expression, Alexander avait décidé de se promener avec une feuille collée sur sa voiture sur laquelle on pouvait lire «je suis un agent étranger».
Après l'attaque russe contre l'Ukraine, Demidenko et sa femme Natalia ont décidé de venir en aide aux réfugiés ukrainiens.
C'est ainsi que le couple a transformé sa maison à la frontière en logement pour les réfugiés ukrainiens. Plus la Russie avançait dans le pays voisin, plus le nombre de personnes augmentait. Des centaines y auraient trouvé un abri à court terme en plus de deux ans de guerre.
Les flux de réfugiés ont été particulièrement importants durant l'été 2023, lorsque le barrage de Kakhovka a été détruit dans le sud de l'Ukraine. Jusqu'à 27 personnes auraient vécu dans la maison de deux étages, en même temps. Demidenko a donc dormi provisoirement dans une banja à côté de la maison principale, une sorte de cabane en bois normalement utilisée pour les bains de vapeur.
Alexander a sacrifié sa vie et son quotidien pour conduire des Ukrainiens à la frontière afin qu'ils puissent retourner sur le territoire contrôlé par l'Ukraine. Des extraditions qu'il organisait via Telegram avec l'aide d'autres volontaires de la région.
L'activiste pacifiste s'est aussi fait remarquer sur les réseaux sociaux. Il s'est notamment insurgé contre les chauffeurs de taxi qui demandaient des prix exorbitants aux Ukrainiens pour les conduire à la frontière.
Son activisme l'a inéluctablement placé dans le collimateur des autorités russes. Bien qu'il n'enfreignait aucune loi en transportant et hébergeant des réfugiés, les autorités russes n'ont pas beaucoup apprécié. Il faut dire que son action allait à l'encontre du récit officiel sur la «libération» de l'Ukraine.
Le 17 octobre 2023, Demidenko a conduit pour la dernière fois une Ukrainienne en fuite à la frontière. Il y a été arrêté par le bataillon tchétchène Achmat, qui avait entre-temps été stationné à Belgorod.
Alexander Demidenko a disparu pendant dix jours avant que sa famille ne reçoive une justification officielle: possession illégale d'armes. Son fils Oleg, qui vit en République tchèque, raconte une conversation téléphonique avec son père au cours de laquelle l'activiste a affirmé avoir été torturé par les Tchétchènes. Des photos envoyées en même temps viennent appuyer ses dires.
Alexander Demidenko a également expliqué à son fils qu'il avait été contraint d'avouer sous la contrainte. Ce qui est arrivé à l'activiste par la suite n'est pas clair. Le 8 avril 2024, la direction de la prison de Belgorod où il était détenu a informé l'avocat de Demidenko que son client était mort, soi-disant par suicide, le 5 avril.
Si la cause du décès n'a pas encore été officiellement établie malgré une enquête est en cours, la famille d'Alexander doute de la version officielle. Selon eux, le père de famille parlait de ses projets pour l'avenir. Pour son fils, il est clair qu'«il serait en vie s'il n'avait pas été arrêté». Car son père était un esprit libre.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci