«Ils peuvent te peloter, ils peuvent te harceler, et personne ne t'aidera parce que tout le monde a peur», raconte Mavka, une femme d'une vingtaine d'années. Elle rit souvent, mais essaie en même temps de paraître aussi triste et discrète que possible dans la rue.
Dans les zones occupées, on ne rit que derrière les portes fermées, parce que dehors, il y a les troupes russes. Mavka vit à Melitopol – la région ukrainienne est contrôlée par le Kremlin depuis le 26 février 2022.
En réalité, Mavka s'appelle autrement. Mais son vrai nom pourrait lui valoir d'être arrêtée, torturée, violée, voire tuée. Mavka est un personnage de la mythologie ukrainienne, une sorte d'amazone, une figure féminine qui attire les hommes dans la forêt.
Mavka, originaire de Melitopol, est une activiste qui fait partie du collectif Zla Mavka («Mavka en colère»). Le groupe organise une résistance non violente. Au début, au printemps 2022, elles étaient trois femmes. A cette époque, il y avait encore des manifestations de masse contre les occupants lors desquelles ces derniers tiraient des gaz lacrymogènes dans la foule.
Un peu plus tard, ce sont des balles réelles qui ont claqué contre les manifestants. Aujourd'hui, une protestation ouverte est devenue impensable. Le collectif s'est transformé en réseau. On ne se connaît pas personnellement, on ne donne pas trop de détails pour ne pas se mettre en danger, mais on planifie des actions et on les mène à bien.
Pour ces femmes, il s'agit de faire savoir aussi souvent que possible aux soldats, aux fonctionnaires russes, à l'appareil derrière l'armée russe et à l'administration d'occupation ainsi qu'aux colons qu'ils ne sont pas les bienvenus ici, explique Mavka. Ça fait beaucoup de monde, car peu d'Ukrainiens sont restés. L'activiste estime qu'environ 60% de la population locale s'en est allée.
La résistance est un travail clandestin avec tous les risques que cela comporte. L'occupation russe est synonyme d'Etat policier, d'arbitraire et de terreur. Il suffit de parler sa langue maternelle ou d'avoir composé un numéro de téléphone ukrainien pour avoir des problèmes.
Les occupants ont mis en place un régime dans lequel c'est la Russie qui commande. «Les Ukrainiens représentent ceux qu'il faut dominer», souffle Mavka. Partout, les Russes auraient planté leurs drapeaux. Mavka rigole:
Concrètement, pour une femme comme Mavka, l'occupation signifie vivre parmi des hommes armés qui boivent et n'ont de comptes à rendre à personne. Elle se camoufle dans l'insignifiance, a oublié ce que cela faisait de porter une robe ou de se maquiller. Et les jours passent. L'activiste explique:
La peur est partout. La méfiance et le risque de dénonciation rappellent, pour certains, le régime stalinien.
On ne sait pas combien de militants des droits humains, d'hommes politiques, de pasteurs, de journalistes ou d'autres contestataires ont disparu dans des caves, des entrepôts ou des fosses. Les Ukrainiens qui ont survécu à la détention russe parlent de torture à l'électricité, de pénétration avec des manches à balai, de coups, de fausses exécutions avec des balles à blanc et pour les prisonnières, des viols.
Pendant ce temps, les enfants vont à l'école où ils ne peuvent pas parler leur langue maternelle et où on leur inculque que l'Ukraine dans laquelle ils ont grandi avec leurs parents n'a jamais existé. Ils sont encadrés par des professeurs qui semblent traquer les consciences pro-ukrainiennes. A dix ans, il leur faut revêtir l'uniforme russe, et on leur met un fusil dans les mains pour la photo de l'album de famille. On appelle cela «le jour de la parade». Certes, l'enseignement ukrainien à distance existe en ligne, mais si l'on se fait prendre, les parents finissent emprisonnés et les enfants dans un centre russe.
Ce monde russe est «sombre, pauvre et plein de peur», raconte Mavka. Il est rempli de déchets, de caméras et de drapeaux russes. L'activiste explique que ceux qui étaient autrefois balayeurs ou ivrognes sont désormais directeurs de bibliothèque. C'est un monde où l'on appose des flyers et où l'on fait des graffitis qui sont déjà arrachés ou repeints au bout d'une heure.
Un monde dans lequel on ne peut imprimer des informations différentes de la propagande officielle sur des feuilles A4 et les déposer dans les boîtes aux lettres qu'au prix de très grands risques.
Mais Zla Mavka fait aussi des «cadeaux» aux occupants appelés la «cuisine de Mavka». Les ingrédients phares sont de l'alcool et des laxatifs. «Beaucoup de laxatifs», rigole l'activiste. Mélangez le tout et vous obtenez un cocktail qui promet aux soldats «une soirée inoubliable». Cela fonctionne toujours, car «ils adorent l'alcool».
(Adaptation française: Valentine Zenker)