Lorsque nous revoyons Maria franchir la porte du foyer de Gilly, nous ressentons la même impression qu'il y a presque deux ans, lors de son arrivée en Suisse. La jeune ukrainienne a conservé son sourire et son regard pétillant qui avaient tout de suite attiré notre attention.
Elle semble lointaine, la jeune fille un peu timide que nous avions rencontrée au mois de juin 2022. Comment vit-elle son séjour en Suisse? Quelles sont ses perspectives? Quel regard porte-t-elle sur son pays? Maria nous livre son quotidien, secondée par Ana Rexhepi, éducatrice et traductrice engagée par l'association Tipiti.
«Vous allez voir, le parcours de Maria est exceptionnel», lance avec fierté Ana. La traductrice et éducatrice de l'association Tipiti loue la capacité d'adaptation de la jeune fille, mais surtout sa réussite scolaire. «Elle va bientôt entrer au gymnase alors qu'elle ne parlait pas un mot de français il y a deux ans, c'est extraordinaire», souligne l'éducatrice. Maria acquiesce et confirme les difficultés d'apprivoiser le français.
Il faut dire qu'elle n'a pas choisi la facilité à son arrivée en Suisse. Ses parents ainsi que l'ONG Tipiti ont souhaité l'intégrer directement dans une classe de niveau secondaire à Rolle, sans passer par l'école d'accueil*.
Un avis partagé par Ana la traductrice qui juge son intégration dans une classe «typiquement suisse» comme «une véritable chance». Maria raconte que ses amis ukrainiens rencontrés à Rolle et à Morges avaient beaucoup de difficultés dans l'apprentissage du français.
La jeune femme avance une explication à ce comportement. En effet, les familles ukrainiennes arrivées dans la région sont composées presque exclusivement de mères et d'enfants, les hommes en âge de combattre n'étant pas autorisés à quitter le pays. Face à l'absence de leur père et autres frères devenus majeurs, les familles «souhaitent retourner en Ukraine et ne s'investissent pas beaucoup dans l'apprentissage du français» selon la collégienne.
L'échange avec Maria est fluide, quelques mots traduits çà et là, la jeune femme répond à toutes nos questions sans fard. Nous lui montrons sa première interview vidéo pour watson et lui demandons ce qui a changé pour elle depuis plus d'une année, la réponse ne se fait pas attendre:
Plus question de retourner en Ukraine, sa famille d'accueil est établie dans le canton de Vaud et ses perspectives d'avenir aussi. Ses seules attaches dans son pays? Sa meilleure amie, mais surtout son grand frère de 21 ans qui ne peut pas quitter l'Ukraine, car «il pourra être recruté par l'armée dès la fin de ses études». L'adolescente avoue avoir vu son arrivée en Suisse comme «une chance et un nouveau départ».
Mais malgré l'accueil et la gentillesse de ses professeurs, elle n'a pas été épargnée par les remarques «méchantes» voire xénophobes, de ses paires. «Dans la cour d'école, certains élèves me disaient de rentrer chez moi en Ukraine et que je n'avais pas ma place en Suisse, mais cela n'a eu aucun impact sur ma scolarité, je ne voulais pas y accorder d'importance». Ce qui inquiétait Maria, c'étaient plutôt les mauvaises expériences vécues par l'un de ses frères, de «vraies remarques racistes» qui montrent, selon la jeune fille, que les garçons sont plus visés par ce genre de comportement.
La famille de Maria et ses huit frères et sœurs doivent quitter le foyer du Gilly et elle est à la recherche d'un grand logement à louer dans la région. Aux parents s'est ajoutée la grand-mère maternelle qui les a rejoints en Suisse il y a quelques mois.
Concernant la prolongation du statut S de sa famille, Maria ne se dit pas inquiète. En effet, l'ONG Tipiti a conclu un contrat de travail avec les parents de l'adolescente, ils sont donc rémunérés en tant que famille d'accueil, ce qui leur permettra de faire valoir le statut de salariés en cas de remise en question de leur permis S.
En regardant Maria, on ne décèle pas une once d'inquiétude. Les préoccupations administratives ne semblent pas faire partie de son quotidien constitué de cours, de sorties entre amies, de matchs de volleyball et d'entraînement de taekwondo: «Mon père n'était pas très enthousiaste à me voir pratiquer un sport de combat, car en Ukraine, les filles ne font pas ça, mais j'ai réussi à le faire changer d'avis». A n'en pas douter, l'adolescent sait faire preuve de persuasion.