Les services secrets israéliens ont une réputation légendaire. Le monde entier sait que quiconque commet un important attentat terroriste contre Israël ou des crimes contre le peuple israélien sera traqué – et mis hors d'état de nuire.
Lors d'une conférence de presse en juillet, le chef des services secrets militaires ukrainiens a répondu à une question délicate, à savoir si son pays envisageait de créer lui aussi une sorte de Mossad.
La réponse de Kyrylo Boudanov:
Kyrylo Boudanov est une véritable légende en Ukraine. Cet homme de 37 ans est un soldat d'élite expérimenté: il a effectué de nombreuses missions, y compris derrière les lignes ennemies, lorsque la Russie occupait une partie de l'est de l'Ukraine à partir de 2014.
En 2020, le président Volodymyr Zelensky l'a nommé à la tête du HUR, le service de renseignement militaire. Jeudi, le ministère de la Défense à Kiev a annoncé que Kyrylo Boudanov avait été promu au rang de lieutenant-général.
Détail intéressant: en Ukraine, le 7 septembre est la journée de célébration des services secrets militaires. Et Boudanov a eu une idée spéciale pour l'occasion, comme le montre une vidéo diffusée via Telegram et la plateforme X.
Love this so much 😂 pic.twitter.com/lLAnKF7atw
— Nell the Weaver Нелл ткаля #Fella 🇺🇦 (@NelltheWeaver) September 7, 2023
Tout cela nous amène à la question des opérations des services secrets ukrainiens qui visent les envahisseurs russes, que ce soit sur le territoire ukrainien occupé ou sur le territoire de la Fédération de Russie.
Au cours des 18 derniers mois, des opérations spéciales ukrainiennes ont causé la mort de dizaines d'ennemis de l'Etat. Certains ont été abattus, d'autres se sont fait exploser. Ou alors, ils sont morts dans des circonstances mystérieuses.
L'Ukraine reste discrète sur son implication dans des attentats, constate-t-on dans un article récemment paru dans The Economist. Mais rares sont ceux qui doutent «de la compétence croissante» des agents des services secrets ukrainiens.
Un officier du HUR a déclaré au célèbre magazine britannique:
Le 5 septembre, The Economist a publié un reportage intitulé «Inside Ukraine's assassination programme». Le magazine d'actualité britannique promettait des aperçus exclusifs d'un programme visant à l'assassinat ciblé d'ennemis de l'Etat.
Il faut savoir que The Economist ne mentionne pas les auteurs des articles pour des raisons de sécurité. Nous, lecteurs, sommes donc privés d'une information importante pour évaluer la pertinence et la fiabilité.
Mais le fait est que The Economist dispose des meilleurs contacts et de sources fiables au sein des forces armées et des services secrets ukrainiens. La preuve en a été apportée en juin dernier par un portrait révélateur du chef des renseignements militaires ukrainiens, Kyrylo Boudanov.
Des documents américains fuités ont révélé que la CIA est intervenue pour empêcher Kyrylo Boudanov d'ordonner une attaque sur Moscou à l'anniversaire de l'invasion russe en février 2023.
Les actes de sabotage et les attaques en Russie auraient renforcé les inquiétudes des alliés de l'Ukraine – et si la provocation constante d'une puissance nucléaire conduisait au pire? Et les déclarations du chef du renseignement militaire selon lesquelles il souhaitait provoquer un effondrement de la Russie n'ont pas amélioré la situation du point de vue politique.
De toute évidence, le lieutenant-général de 37 ans n'a que faire de ces préoccupations. Après neuf ans d'engagement dans le conflit avec la Russie, il se considère être dans une position unique pour évaluer les risques d'une escalade nucléaire.
Ce combattant expérimenté insiste sur le fait qu'une défaite stratégique de la Russie ainsi qu'une «réorganisation du pouvoir» dans cette région sont indispensables pour la paix en Europe.
On sait qu'il y a différents intervenants et plusieurs services secrets ukrainiens. Comme les responsables gardent le silence, il est difficile de savoir qui a mené quelles opérations.
Selon The Economist, les attentats ciblés contre les occupants et les collaborateurs russes remontent au moins à 2015. Le SBU, le service de renseignement intérieur ukrainien, aurait créé une nouvelle organisation après l'invasion de la Crimée et de la région orientale du Donbass. Un département de contre-espionnage se serait spécialisé dans le sabotage. Par la suite, on se serait concentré sur l'assassinat ciblé d'ennemis.
Des membres des services secrets ont expliqué à The Economist que la cinquième direction du SBU jouait un rôle central dans les opérations contre la Russie. Ce service de sécurité serait nettement plus grand et disposerait de moyens financiers bien plus importants que le HUR, de sorte qu'il aurait été le mieux à même de gérer des opérations exigeantes, comme le bombardement du pont de Kertch, qui relie la Russie à la Crimée, en octobre 2022.
D'autres sources ont toutefois souligné le rôle du service de renseignement militaire HUR, qui dispose de vastes réseaux souterrains.
Un autre acteur qui gagne en importance dans les territoires occupés serait les Special Operations Forces (SSO), c'est-à-dire les soldats d'élite qui agissent en petites équipes. Ces groupes coordonneraient également les actions des partisans.
Dans le reportage du Economist, un officier de la SSO a déclaré que l'on insistait désormais sur l'obtention de pouvoirs plus importants pour mener des opérations à l'intérieur de la Russie. Mais les milieux du renseignement ukrainien n'y sont généralement pas favorables.
Enfin, il y a aussi le Service de renseignement extérieur de l'Ukraine (SZRU). Aucune information fiable n'est disponible sur ses actions derrière les lignes ennemies.
Selon The Economist, on peut partir du principe que le président ukrainien Volodymyr Zelensky autorise les opérations les plus délicates et que les autres décisions sont déléguées. Mais une source gouvernementale de haut rang connaissant bien la situation aurait refusé de discuter des détails:
Zelensky aurait donné aux responsables des services secrets l'ordre clair «d'éviter les dommages collatéraux parmi la population civile». Les cibles des attentats – c'est-à-dire les Russes et les collaborateurs – devraient être choisies avec soin.
La source anonyme dans l'article a toutefois ajouté qu'il se pourrait que cela n'ait pas toujours été le cas dans le passé.
Selon l'article, le sujet des cibles à combattre provoquerait souvent des désaccords au sein des cercles des services secrets ukrainiens. Les initiés interrogés par The Economist auraient tous estimé que «les attaques contre les propagandistes russes de niveau moyen» n'en valent pas la peine.
Un ancien responsable des services secrets se serait dit préoccupé par le fait que les assassinats ciblés de l'Ukraine «relèvent davantage de l'impulsion que de la logique». Certaines opérations suggèreraient un manque de stratégie. Elles risqueraient ainsi de «dévoiler les sources, les méthodes et l'ampleur de l'infiltration ukrainienne en Russie».
Toujours est-il que des attentats ciblés du côté russe «alourdiraient le coût des crimes de guerre» et renforceraient le moral de leur propre population. L'exécution d'un ancien commandant de sous-marin russe, supposé avoir fait tirer les missiles qui ont tué 38 civils dans la ville ukrainienne de Vinnytsia en juillet 2022, est mentionnée comme un exemple «positif».
Andriy Yusov, un porte-parole des services de renseignement militaires, a insisté auprès de The Economist sur le fait que l'Ukraine n'exerçait pas une «terreur aveugle»: l'objectif serait de chasser l'ennemi des territoires ukrainiens occupés.
Selon lui, l'Ukraine continuera à essayer d'identifier et d'exploiter les points faibles des Russes. Il ajoute que l'infiltration des services de sécurité ukrainiens par des agents russes reste toutefois un problème majeur. Selon certains initiés, il s'agirait même du plus grand obstacle sur la voie de la création d'un Mossad ukrainien.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci