«Tout responsable doit comprendre qu'il n'est pas en poste à vie. Je suis prêt.» Oleksii Reznikov, actuel ministre ukrainien de la Défense, ne croyait pas si bien dire ce week-end. A peine quelques heures après sa déclaration, le voilà promis à une dégringolade. On parle d'un atterrissage au ministère des Industries stratégiques.
Le député David Arakhamia l'a annoncé dimanche soir, arguant que «c'est la guerre qui dicte les politiques du personnel». Arakhamia a surtout balancé le nom de son potentiel remplaçant, sans donner d'agenda précis. Et pour cause: lundi en fin de journée, le gouvernement ukrainien a finalement déclaré qu'aucun changement ne sera fait cette semaine, en raison des «risques pour le système dans son ensemble et avant une réunion clé sur les livraisons d'armes».
On ne sait pas si la guerre joue véritablement les responsables RH. Ce qui est sûr, c'est que Volodymyr Zelensky termine là son grand ménage ministériel, entamé en raison des récents scandales de corruption entachant le pouvoir ukrainien. Et Oleksii Reznikov est au cœur du viseur.
Les sensibles chaises musicales du président mettent aujourd'hui en lumière l'un de ses plus proches et précieux stratèges. Kyrylo Boudanov a beau n'avoir que 37 ans, cet actuel patron des renseignements militaires est l'un des militaires le plus respectés dans les hautes sphères ukrainiennes. C'est lui qui avait, par exemple, «joué sa carrière» en prédisant l'agression de Vladimir Poutine, mettant toute sa famille à couvert bien avant le fameux 24 février 2022. Au début, différents généraux et pontes politiques lui avaient ri au nez. Pas bien longtemps.
Le Washington Post, qui l'a récemment interviewé, explique que Boudanov et sa femme ont fixé l'horloge avec angoisse pendant des heures, cette nuit-là. «Le chômage menaçait si tout ne se passait pas tel que je l'avais annoncé.» Au final, rien de tout cela. Boudanov a rapidement renforcé l'estime que Zelensky lui portait depuis 2014. Il faut dire que, dès le mois de février, ce sont ses hommes qui supervisent les opérations secrètes, les négociations pour l'échange de prisonniers, la collecte et l'analyse des renseignements.
En janvier dernier, à Davos, Volodymyr Zelensky avait réveillé l'assemblée de dirigeants mondiaux en doutant que Vladimir Poutine soit toujours vivant, une information que le président ukrainien tenait précisément de son stratège préféré. Car Kyrylo Boudanov en est persuadé: Poutine est en phase terminale et s'entoure d'une poignée de sosies. A-t-il conscience du talent que Zelensky lui loue?
Le 24 février 2022, le chef des renseignements militaires a embarqué femme et enfants, direction... son bureau au ministère. Un endroit qu'il ne quitte pratiquement jamais et dans lequel la musique classique à plein volume est son meilleur allié. Pour ses nerfs, mais aussi pour tordre la membrane au moindre micro qui se montrerait un peu trop curieux. Avec lui, une petite grenouille domestiquée, quelques armes planquées et un joli paquet de munitions.
Depuis, sa famille n'a plus jamais retrouvé le cocon familial. Marianna Budanova, psychologue de formation, s'est faite à l'idée que partager la vie d'un général en pleine guerre pousse à réfléchir ses journées un poil différemment. Surtout que son amoureux comptabilise pas moins de douze tentatives d'assassinat.
Diplômé de l'Institut des forces terrestres d'Odessa, puis plus jeune général de l'histoire en Ukraine, Boudanov est une cible de choix depuis plusieurs années pour le Kremlin. Les services secrets russes le considèrent d'ailleurs comme le principal responsable de l'attaque du pont de Crimée, partiellement détruit en octobre dernier.
Or, pour le nouveau ministre de la Défense, les ennuis ont véritablement commencé en 2016, quand un lieutenant-colonel du FSB a été tué en Crimée. Pour la garde rapprochée de Poutine, tout est de la faute des «saboteurs ukrainiens», dont Boudanov aurait fait partie. Plus tard, et à même pas 34 ans, il reçoit l'Ordre du courage des mains de Zelensky pour une opération qui est toujours un secret défense. C'est en septembre 2020 que l'homme est nommé officiellement à la tête du GUR, le renseignement miliaire ukrainien.
La dernière fois que Boudanov a eu chaud aux fesses, c'était en 2019, en plein cœur de Kiev. Une bombe est placée sous sa Chevrolet, mais explose juste avant qu'il ne se glisse au volant. Un Russe, dont les papiers d'identité indiquaient le nom d'Alexei Lomaka, a été arrêté dans la foulée.
Sa tête mise à prix par le Kremlin ne l'empêche pas de continuer à dérouler ses prédictions. Dernièrement, Kyrylo Boudanov jugeait peu crédibles les menaces nucléaires brandies par Vladimir Poutine. Il ne croit pas non plus à une attaque par le nord, car l'armée russe «se concentrera sur les régions de Lougansk et de Donetsk». Le futur nouveau ministre de la Défense estime enfin que si les combats connaîtront un regain d'intensité dès le début du printemps, la guerre sera gagnée par l'Ukraine avant la fin de l'année.
Un optimisme que Zelensky ne partage pas, du moins en public. Dimanche soir, le président ukrainien rappelait que de «nombreux rapports indiquent d'ores et déjà que les occupants» préparent un gros cadeau empoisonné. La date anniversaire approche et elle pourrait bien faire des dégâts symboliques. C'est en tout cas l'avis de... son futur prédécesseur, Oleksii Reznikov: