Mardi midi, le président russe Vladimir Poutine descend les marches du Palais des Facettes au Kremlin sur le tapis rouge. Des centaines de soldats en tenue de camouflage se sont rassemblés dans l'enceinte. Il les remercie pour «leur détermination et leur courage», ils ont «de fait empêché une guerre civile». C'est le signal de l'unité selon Poutine, l'évocation de la «cohésion patriotique» sans laquelle la «patrie ne peut être tenue en ces temps difficiles».
La veille au soir, Poutine s'était déjà positionné après l'échec du soulèvement d'Evgueni Prigojine et de sa troupe paramilitaire Wagner. Il voulait regagner le terrain qu'il avait perdu en si peu de temps suite à la courte révolte de Prigojine de ce week-end, il voulait faire le point:
Devant des panneaux de bois brun, Poutine a certes choisi d'autres mots pour se vendre comme le gardien de la paix intérieure. Il s'est empressé de montrer qu'il avait tout le peuple et tout son appareil derrière lui. Conscient de sa «responsabilité pour le destin de la patrie», il a déclaré que «tous les niveaux s'étaient rassemblés dans l'unité».
Par contre, pas un mot sur le fait que presque aucun membre du gouvernement – déstabilisé par le danger qui s'abattait sur Moscou – ne se soit publiquement rangé derrière Poutine samedi, ni qu'aucun citoyen – dont on dit qu'ils soutiennent leur président à 80% – n'ait osé descendre dans la rue avec une pancarte: «Vladimir Vladimirovitch, nous sommes derrière vous».
En principe, le régime russe ne mène pas ses luttes de pouvoir en public. Mais Prigojine a enfreint cette règle non écrite et a défié Poutine.
Dans son discours de lundi, le maître du Kremlin a renouvelé son accusation de haute trahison, mais n'a pas nommé Prigojine, comme il l'avait déjà fait samedi. Une effusion de sang a été arrêtée, les «ennemis» de la Russie ont misé sur un «fratricide», l'Ukraine et l'Occident «voulaient que les soldats russes s'entretuent», a-t-il fulminé. La version selon laquelle l'Occident aurait contribué au soulèvement est un nouvel élément du discours officiel de Moscou.
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait déjà tenu un discours similaire auparavant, et les chaînes de télévision publiques ont également adopté cette version de l'histoire.
Poutine a rappelé aux combattants de Wagner que l'«amour de la patrie» était impératif et il les a appelés à signer des contrats avec le ministère russe de la Défense, à rentrer chez eux ou à s'exiler en... Biélorussie.
Ce que le Kremlin avait annoncé comme un «discours fatidique» (avant de prétendre ne jamais l'avoir appelé ainsi) n'était qu'une répétition plus musclée de ce que Poutine avait déjà dit samedi, alors que la révolte battait son plein. Les moqueries ne se sont pas fait attendre: «Quelque chose ne va pas avec ma connexion, y a-t-il quelque chose d'autre après?», demandaient les partisans les plus acharnés de guerre moquant le chef suprême de la Russie sur leurs chaînes Telegram: «Et maintenant, bonne nuit, c'est ça?»
La télévision d'Etat a diffusé à peine 30 secondes de la réunion du Conseil de sécurité après l'apparition. Il s'agissait simplement des mots de bienvenue de Poutine adressés à tous les représentants des forces de sécurité, y compris le ministre de la Défense, Sergeï Choïgou, que Prigojin aurait tant aimé voir remis entre ses mains. Ces images étaient censées montrer l'unité du dispositif derrière Poutine.
Entre-temps, Prigojine serait arrivé en Biélorussie. Mardi, son jet aurait atterri près de Minsk. On ne sait toutefois pas s'il se trouvait à bord. L'ex-boss des mercenaires Wagner s'était déjà exprimé, lundi, dans un message audio. Il n'a jamais voulu un «changement de pouvoir», il a simplement mis en évidence de «graves problèmes de sécurité». Il ne voulait pas voir sa troupe dissoute, d'où sa «protestation».
Son groupe de mercenaires sera dissout par d'autres moyens, en toute impunité, comme l'a officiellement confirmé le service de renseignement intérieur, le FSB, mardi. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko, qui s'est exprimé le même jour devant des journalistes triés sur le volet à Minsk, n'a toutefois pas précisé ce qu'il adviendrait des paramilitaires en Biélorussie.
Pendant ce temps, la Garde nationale russe, directement subordonnée à Poutine, doit être équipée de matériel de guerre lourd. Prigojine parti, la propre armée privée de Poutine doit désormais poursuivre ses objectifs en Ukraine. (aargauerzeitung.ch)
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)