En frappant le centre névralgique de la guerre en Ukraine en plein cœur, Evguéni Prigojine ne pouvait décemment pas penser s'en sortir indemne. Alors que la mutinerie conduite par ses soins a été abrégée par son soudain exil en Biélorussie, les citoyens russes ont de leurs côtés pléthore de sentiments mitigés à digérer.
Si à Rostov, les forces wagnériennes ont reçu un accueil plutôt bienveillant d'une partie de la population, la ville de Voronej fut une autre paire de manches. Sur la route de Moscou, samedi 24 juin, des combats meurtriers ont opposé une colonne de mercenaires à l’armée de l’air russe. Un duel entre un système antiaérien 9K35 Strela-10 du groupe Wagner et un hélicoptère d’attaque Ka-52 a marqué les esprits:
#Russia: A Russian Il-22M communications aircraft (reportedly RF-75917) was shot down by Wagner forces in #Voronezh Oblast. pic.twitter.com/CKhy4KRXoh
— 🇺🇦 Ukraine Weapons Tracker (@UAWeapons) June 24, 2023
Cette même odeur de brûlé semble désormais s'accrocher aux pas de l'ancien «traiteur du Kremlin» en disgrâce. Comme le rappelle la NZZ, une tranche de la population, ainsi que nombre de députés, se montrent bien plus radicaux que Vladimir Poutine à son sujet. Ce week-end, les prises de parole post-crise n'ont évidemment pas épargné Prigojine et ses valets.
Bien loin du ton rassurant adopté par le chef du Kremlin lors de sa dernière allocution, celui des personnalités publiques de premier plan était empreint de colère et d'amertume. En ligne de mire, la suppression du mandat d'arrêt contre Prigojine, jugée inacceptable jusqu'aux plateaux de télévision officiels.
"- Why were the Wagner PMCs moving so quickly towards Moscow?
— Anton Gerashchenko (@Gerashchenko_en) June 27, 2023
- Because we concentrated all our forces on the defense of Moscow, otherwise they would have passed through us like a knife through butter" - answered the head of the Rosgvardiya Zolotov pic.twitter.com/uC7dbLPhzM
Ce week-end, Vladimir Soloviev, le présentateur télé et propagandiste du Kremlin bien connu, a ouvert son direct sur la chaîne d'État Rossiya 1 sur une note étonnamment critique. L'homme est pourtant connu pour ses jugements à l'emporte-pièce - il avait notamment déclaré en janvier que la France devrait faire l’objet de «frappes préventives» en tant que «belligérant» dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine. Mais dimanche, ses radars ont été ramenés à des latitudes plus locales: «Hier était une journée très effrayante», a-t-il notamment articulé.
Faisant référence aux troupes envoyées par le chef tchétchène Ramzan Kadyrov qui, avec la Garde nationale russe, étaient censées défendre la ville contre les combattants wagnériens, Soloviev a évoqué un tableau qui n'aurait pas manqué de provoquer le chaos au sein de la capitale:
Prigojine, auparavant élevé au rang de héros national, a eu tôt fait de chuter de son piédestal martial. Nombreux sont ceux qui se refusent à pardonner la petite quinzaine de soldats russes tombés sur la route des forces wagnériennes. L'exil du «cuisinier de Poutine» en Biélorussie a scindé l'opinion publique en deux camps.
D'un côté, Yevgeny Buschinsky, lieutenant-général à la retraite, a estimé dans l'émission comprendre la levée du mandat d'arrêt contre Prigojine.
De l'autre, le politicien de la Douma Andrei Gurulev ne l'a pas entendu de cette oreille. Pour lui, une seule alternative s'offre au chef et au fondateur des mercenaires de Wagner, Prigojine et Dmitri Outkine: la mort.
Dans son émission, Vladimir Soloviev a également salué la «maturité» de la population russe qui n'a pas cillé pendant la crise, avant d'appeler à renforcer les effectifs de la Garde nationale. «Non seulement au front, mais aussi dans le pays même. Nous avons besoin d'une défense à plusieurs niveaux que nous pouvons mettre en état d'alerte en cas d'invasion sur le territoire de la Fédération de Russie», a encore relayé la NZZ.