Quel est le lien entre guerre et corruption?
Alyona Vandieva: La guerre est un terrain fertile pour la corruption. Le simple fait que onze des vingt pays les plus corrompus au monde soient touchés par des conflits montre que les thèmes sont étroitement liés. En temps de guerre, la lutte contre la corruption passe de facto à l'arrière-plan. L'Ukraine a toutefois reconnu que ce phénomène affaiblit le pays dans son ensemble et essaie donc de continuer à la combattre même en temps de guerre.
La corruption est également très présente en Russie.
Oui. Un exemple évident est la production de drones, qui a fait un bond en avant depuis le début de la guerre. Des entreprises russes se procurent dans différents pays des composants pour les drones utilisés dans la guerre en Ukraine.
La corruption en Russie est facilitée par le manque de transparence: les données sur les achats ou le budget de l'armée n'existent tout simplement pas. Il est donc impossible de quantifier les coûts de la guerre. Depuis le début du conflit, les lois qui obligeaient les politiciens et les entreprises à être transparents ont été abolies, ou des exceptions ont été créées.
Alyona Vandieva, vous avez quitté la Russie après le début de la guerre. Pourquoi?
Le climat politique à l'égard des organisations non gouvernementales comme Transparency International (TI) se dégrade depuis des années en Russie. Cela a commencé dès 2012, lorsque la «loi sur les agents étrangers» a été introduite. Depuis, la pression n'a cessé d'augmenter, notamment après le début de la guerre contre l'Ukraine. Diverses préoccupations que j'avais sont devenues si importantes que j'ai finalement décidé de m'exiler en Géorgie.
Comment cela s'est-il passé?
J'ai quitté mon poste de secrétaire académique et d'enseignante à la Higher School of Economics de Saint-Pétersbourg (HSE) en pensant que je pourrais continuer à travailler avec un nouveau contrat depuis la Géorgie. C'est en tout cas ce qui m'a été promis de manière orale. Le jour de mon arrivée en Géorgie, on m'a finalement annoncé par téléphone que je ne serais pas réengagée. Je ne peux l'expliquer que par le fait que c'est mon activité à TI qui a posé problème. Je ne suis pas la seule dans ce cas. Des situations similaires ont eu lieu aussi bien à la HSE de Saint-Pétersbourg que dans la filiale de Moscou.
Que signifie l'exclusion des personnes politiquement indésirables des universités russes?
C'est vraiment une catastrophe. Même les revues scientifiques étrangères ne sont plus disponibles. La HSE de Saint-Pétersbourg était un véritable phare de la pensée libre et de l'échange par-delà les frontières. Il y a quelques années encore, l'institut entretenait de nombreux contacts avec des universités et des hautes écoles du monde entier. Nous avions également de nombreux étudiants en échange. Cela ne posait pas non plus de problème que les enseignants expriment leurs opinions politiques en classe, je l'ai fait à plusieurs reprises.
L'atmosphère à la HSE a changé dans les deux dernières années. Aujourd'hui, les étudiants n'ont même plus accès aux revues spécialisées étrangères. Comment l'enseignement et la recherche peuvent-ils fonctionner ainsi?
Constatez-vous aussi que de nombreux diplômés quittent la Russie?
Malheureusement, oui. Je suis en contact avec un grand nombre de mes anciens étudiants. Ceux qui le peuvent quittent la Russie. Et c'est exactement ce que veut le Kremlin. C'est ainsi qu'il se débarrasse des personnes politiquement gênantes.
Comment changer la situation?
De mon point de vue, le problème principal est que la majorité des Russes n'ont pas de réel désir de liberté. Il y a une seule courte période en Russie où il y avait vraiment de la liberté selon les critères occidentaux, c'est-à-dire au début des années 1990, après l'effondrement de l'Union soviétique. Malheureusement, cette période de grande liberté politique s'est accompagnée d'énormes bouleversements économiques, durant lesquels de nombreux Russes sont tombés dans la pauvreté. D'où un scepticisme généralisé à l'égard de la liberté. C'est surtout cette expérience qui fait que beaucoup s'accrochent au peu de stabilité qui a vu le jour sous Poutine.
Poutine ne gouvernera pas éternellement. Qui ou quoi lui succédera?
Je ne vois pas de personne qui pourrait prendre la relève. Poutine a éliminé tous les concurrents politiques potentiels. L'exemple le plus marquant de ces dernières années est sans doute Alexeï Navalny. Ce qui me semble le plus probable actuellement, c'est qu'après la présidence de Poutine, ce soit une junte militaire qui prenne le pouvoir en Russie.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci