Loyal, efficace, sans charisme, ambitions personnelles ou pouvoir domestique au Kremlin: au sein du gouvernement russe, Mikhaïl Michoustine jouit de l'image d'un fonctionnaire parfait. C'est sans doute pour cette raison que Vladimir Poutine a promu le directeur de l'administration fiscale au rôle de Premier ministre début 2020, faisant de lui le gardien du pouvoir juridique formel au sein de l'Etat russe. Mais depuis peu, cet homme de 57 ans semble transcender le rôle qui lui a été attribué – et devenir une menace pour son chef.
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Il n'a donc pas dû échapper à Poutine que le chef d'Etat chinois Xi Jinping déroule actuellement le tapis rouge à Michoustine, au sens propre du terme. Lors de sa visite à Moscou en mars, Xi n'a pas seulement rencontré Poutine, mais aussi Michoustine, chose qui n'adhère pas au strict protocole chinois.
A l'invitation du Premier ministre chinois Li Keqiang, Michoustine s'est ensuite rendue à Pékin fin mai. A cette occasion, Xi a une nouvelle fois rompu le protocole en recevant officiellement Michoustine dans la Grande Salle du Peuple – privilège normalement réservé aux invités d'Etat du même rang.
Le simple fait que ce soit Michoustine et non Poutine qui ait été invité à Pékin a dû être perçu par le chef du Kremlin comme une menace pour sa position. La Chine est le principal allié de la Russie et la machine de guerre de Poutine a urgemment besoin de devises et de biens industriels en provenance du pays voisin.
Pourtant, Xi s'est montré tout sauf bienveillant à l'égard de la guerre en Ukraine et refuse de livrer des armes à la Russie: les relations commerciales avec l'Europe et l'Amérique du Nord sont manifestement plus importantes pour lui. Depuis, Poutine a sans doute fait sentir son mécontentement à Michoustine.
Michoustine est l'un des treize membres permanents du Conseil de sécurité du Kremlin, qui se réunit normalement tous les sept à dix jours sous la présidence de Poutine. Y siègent notamment le ministre de l'Intérieur, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Défense et le chef des services de renseignement extérieurs. La dernière fois que Michoustine était assis à cette table, c'était le 15 mai, avant son voyage en Chine le 24 mai. Il n'a pas assisté aux réunions du 26 mai et du 2 juin, sans que le Kremlin ne donne de raisons à son absence.
«La procédure habituelle aurait été que Poutine fasse venir Michoustine et que celui-ci rapporte ce qu'il a appris en Chine», écrit l'expert russe Anders Åslund du groupe de réflexion américain «Atlantic Council». Et d'ajouter:
En excluant Michoutine du Conseil de sécurité, Poutine a probablement exprimé sa désapprobation quant à ses aspirations. «Michoustine n'est souvent pas pris en considération dans l'analyse des rapports de force russes, mais nous devrions surveiller de près ses relations tant avec la Chine qu'avec Poutine», écrit Åslund.
La valorisation de Michoustine par les dirigeants chinois va manifestement de pair avec son importance croissante au sein de l'Etat russe. Cet économiste de formation et son cabinet sont ainsi parvenus à maintenir l'économie russe à un certain niveau malgré des sanctions sans précédent, écrit Anna Arutunjan du think tank américain «Wilson Center»:
En principe, les réseaux informels et les relations personnelles sont certes plus importants dans le système de pouvoir russe, écrit Arutunjan: «Mais ce n'est qu'une partie du tableau, les institutions jouent également un rôle important». Ainsi, la plupart des ministres doivent rendre des comptes à Michoustine et si Poutine venait à mourir, le Premier ministre serait nommé président par intérim conformément à la Constitution.
«En tant que Premier ministre, Michoustine est le deuxième homme le plus puissant du pays, même s'il ne fait pas autant de bruit que Evgueni Prigojine», ajoute Arutunjan. Le chef de la troupe de mercenaires Wagner se fait régulièrement remarquer par ses attaques contre le commandement de l'armée.
Ce qui est frappant chez Michoustine, c'est qu'il ne s'exprime guère publiquement sur la guerre contre l'Ukraine et que, contrairement à de nombreux autres fonctionnaires et hommes politiques, il n'adopte pas non plus un ton nationaliste, écrit Anna Arutunjan:
Et la spécialiste de conclure: «Les technocrates comme Michoustine n'auront pas toutes les réponses dans l'immédiat, mais s'aliéner tous ces gens n'est dans l'intérêt de personne».
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci