Le chef du gouvernement hongrois Viktor Orbán est bien décidé à faire en sorte que le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, qui se tiendra du 13 au 15 décembre à Bruxelles, se termine par une débâcle. Il veut bloquer toutes les décisions concernant l'Ukraine avec son veto.
Ce ne sont pas seulement 50 milliards d'euros de soutien pour les quatre prochaines années qui sont en jeu. Mais aussi plus de 20 milliards d'aides militaires, le nouveau paquet de sanctions contre la Russie et l'affaire la plus symbolique qui soit: l'adhésion de l'Ukraine à l'UE. Orbán veut rayer complètement cette dernière idée de l'ordre du jour.
Ce serait une grande catastrophe pour Kiev. Surtout à un moment où les forces armées ukrainiennes sont sur la défensive sur le front de l'hiver et où le soutien des Etats-Unis menace de se tarir en raison de la querelle entre démocrates et républicains.
Dans deux lettres adressées au siège de l'UE, Viktor Orbán a annoncé son opposition. A Bruxelles, on part du principe que cette fois-ci, il est sérieux. Car jusqu'à présent, le Premier ministre hongrois s'est souvent rebellé contre l'Ukraine, mais il a toujours fini par céder et par soutenir toutes les décisions, que les 27 chefs d'Etat et de gouvernement ne peuvent prendre qu'à l'unanimité.
Il a parfois fallu lui faire des concessions et acheter son ralliement par des compromis. Par exemple, avec des exceptions à l'embargo sur le pétrole ou le gaz russe. Mais cette fois-ci, cette stratégie d'apaisement ne semble plus fonctionner.
Même les quelque dix milliards d'euros d'aides financières dont Bruxelles prive la Hongrie en raison de ses déficits démocratiques et qui pourraient désormais être débloqués juste avant le sommet européen ne semblent pas suffisants pour faire changer d'avis Orbán. Manifestement, il ne s'agit plus seulement de «faire pression» pour obtenir ces fonds, mais de quelque chose de plus fondamental. Ainsi, Viktor Orbán a souligné vendredi dans une interview au magazine Le Point:
En outre, l'adhésion de l'Ukraine, poids lourd de l'agriculture, bouleverserait tout l'équilibre au sein de la politique agricole de l'UE.
La situation est particulièrement délicate, car il ne sera guère possible cette fois-ci de bricoler un compromis durant le sommet. La question est devenue binaire, il s'agit d'une décision de principe: adhésion de l'Ukraine - oui ou non; aides financières - oui ou non.
Le ton devient alarmiste dans les capitales européennes. Le président du Conseil de l'UE Charles Michel, qui préside les réunions des chefs d'Etat et de gouvernement, s'est déjà rendu à Budapest fin novembre pour tenter d'interpeller Orbán en tête-à-tête. Jeudi, le président français Emmanuel Macron a invité le Hongrois au palais de l'Elysée à Paris pour tenter à son tour de le convaincre. En vain.
Orbán a pourtant clairement fait savoir depuis longtemps ce qu'il voulait : un «changement de stratégie» dans la politique ukrainienne de l'UE. Orbán ne croit pas que Kiev puisse encore gagner la guerre et veut que l'Ukraine entame des négociations de paix avec la Russie. La guerre dure depuis bien trop longtemps et pèserait trop lourd sur l'économie européenne.
Le Premier ministre hongrois ne se soucie pas du fait que cela équivaudrait à une véritable capitulation et que l'Ukraine devrait céder un cinquième de son territoire. Il n'a pas non plus peur des contacts avec le président russe Vladimir Poutine: alors que le président russe a été désigné comme criminel de guerre par le Tribunal pénal international de La Haye, exigeant son arrestation, Viktor Orbán lui a ostensiblement tendu la main lors d'une rencontre personnelle en octobre.
Personne ne sait de quoi les deux hommes ont discuté en tête-à-tête. La méfiance envers la Hongrie est donc grande au sein de l'UE. A Bruxelles, on parle depuis longtemps avec mépris d'Orbán comme d'un «sous-fifre de Poutine» ou d'un «cheval de Troie».
A la veille du sommet décisif, les signes sont donc à la tempête. Il y a de fortes chances pour que les négociations prévues sur deux jours dégénèrent en interminables séances nocturnes. En annonçant un blocage total, Viktor Orbán a lancé les hostilités.