L'autre jour, en écoutant un épisode de l'émission «Affaires étrangères» sur France Culture, une très courte phrase, prononcée par l'un des intervenants, Arthur Larrue, m'a interpellée. L'écrivain français formulait son souhait quant à la fin de cette «guerre malheureuse»:
Une «fin heureuse». Le terme m'a fait tiquer. Même effet qu'une pichenette sur la joue: un geste à la fois affectueux et désagréable.
Je l'admets, depuis le début de l'invasion, il y a déjà six longues semaines, la perspective d'une issue heureuse pour l'Ukraine ne m'a pas vraiment effleurée.
Dans tous mes scénarios imaginaires, le courageux président Zelensky finit tôt ou tard par tomber, dans son palais présidentiel de Kiev, aux mains des Russes. Je vois l'assaut, j'entends les cris, je renifle presque l'odeur du sang.
Accusez-moi de pessimisme, cynisme, défaitisme, bref, de ce vous voulez. Des fois, il est moins douloureux de se préparer au pire.
Et puis, il faut reconnaître qu'on adore se faire peur. Ne les avez-vous pas ressenti, vous, ces délicieux frissons d'horreur à la perspective d'une victoire de Poutine? D'imaginer à quoi ressemblerait une invasion de l'Europe, voire une troisième Guerre mondiale? Avouez, on y a tous réfléchi: ça nous ferait quoi, de nous entasser dans un abri anti-atomique, avec femmes, enfants, animaux de compagnie, pastilles d'iode et boîtes de conserve?
Bref, cette perspective un peu abstraite d'une catastrophe sur le point de s'abattre, au fond, on l'apprécie. On se délecte avec un plaisir coupable de cette angoisse - tant que le conflit reste suffisamment lointain pour ne pas percevoir le bruit des bombes de ses propres oreilles.
La guerre nous effraie, mais elle a le mérite de nous évader d'un quotidien un peu fade. Elle nous empêche de nous enliser dans l'ennui. Surtout maintenant qu'on n'a même plus de pandémie mondiale pour nous faire (un peu) peur.
Evidemment que nous autres, médias, puisons dans ce climat anxiogène. Nous avons même pris un certain plaisir, au gré des angles journalistiques, à nous prendre pour des psychologues, des biographes, des stratèges militaires, des chefs de guerre, des politologues ou des diplomates.
Une chose est sûre: à force d'être biberonnée par la guerre à longueur de journée, je finis par devenir fataliste. Les nouvelles du front tombent, à rythme régulier. Rarement positives. Ici, des bombardements sur Kiev. Là, sur Marioupol. Sans compter le destin de la ville martyr de Boutcha.
Succession de chiffres. Le nombre de réfugiés. Le nombre de morts, annoncés et niés dans chaque camp. Le nombre de civils, hommes, femmes et enfants, retrouvés dans des fosses communes. La liste des crimes de guerre commis par les belligérants qui s'allonge. Celle des sanctions à l'encontre de la Russie. Le défilé de ces ces personnes, célèbres ou anonymes, brusquement médiatisés. Tous les jours, de nouvelles prédictions sur l'évolution du conflit, qui se succèdent et ne se ressemblent pas, tant et si bien qu'on finit par ne plus savoir à quoi s'attendre.
Alors oui, ces deux mots de «fin heureuse» lâchés au détour d'une analyse m'ont fait prendre conscience de cette possibilité que j'avais, sciemment ou non, mise de côté.
Difficile d'affirmer qu'un conflit peut «bien» se terminer. Mais une piqûre de rappel s'avère parfois nécessaire. Non, Zelensky n'est pas voué à mourir dans une Kiev assiégée. Non, Poutine n'est pas destiné à gagner, ni à détruire le monde à coups de bombes atomiques. Oui, citoyens ukrainiens et russes peuvent avoir de l'espoir.