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49.3: La France peut-elle basculer? «On n'en est pas très loin»

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La France peut-elle basculer? «On n'en est pas très loin»

Depuis le passage en force du gouvernement Macron avec sa réforme des retraites, la France semble envahie par une rage encore plus dévastatrice. Entre la menace de faire tomber le pouvoir et celle de la dissolution pure et simple de l'Assemblée, la rue peut-elle verser dans l'insurrection? On en cause avec Alain Bertho, professeur émérite d'anthropologie à Paris, grand spécialiste des émeutes et des soulèvements.
17.03.2023, 18:5817.03.2023, 19:41
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Vue de Suisse, la France semble à deux doigts de basculer dans une violence qui ressemble à un soulèvement, voire à un embryon de révolution. On exagère?
Alain Bertho: Les soulèvements n'aboutissent pas toujours à des révolutions. Et les vingt années qui viennent de s'écouler dans le monde nous prouvent que même des foules pourtant majoritaires, déterminées et courageuses peuvent être battues.

Jeudi soir, la foule était d'ailleurs particulièrement déterminée et parfois à proximité de l'Assemblée nationale et de l'Elysée.
A l'annonce de l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution française, il y a effectivement eu plusieurs rassemblements spontanés de rage et de colère. Le ton s'est radicalisé. Avec des manifestants oubliant parfois la peur, face à des forces de l'ordre encore plus nombreuses que les jours précédents. Ce niveau de rage n'est pas inédit, il suffit de se rappeler du mouvement des Gilets jaunes, mais je ne sais pas jusqu'où elle peut aller.

Il manque quoi pour pouvoir craindre sérieusement une insurrection?
Plusieurs choses. Il faudrait déjà que cette rage explose. Pour l'heure, je ne sais pas jusqu'où elle peut aller. Il faut savoir que l'on passe de la politique du mot à celle du corps, quand on commence à prendre des risques physiques. Quand la peur disparaît.

«Un pays peut basculer quand la police charge et que les manifestants ne reculent pas»

On n'en est pas très loin. D'autant qu'il y a de gros risque pour que la motion de censure ne soit pas majoritaire et que la loi sur la réforme des retraites s'applique quand même. A ce moment-là, elle s'appliquerait contre l'avis des trois-quarts des Françaises et des Français.

On parle vraiment des trois-quarts des Français?
Ah oui. Et 92% des actifs. Il n'y a pour ainsi dire que les retraités qui soient favorables à cette réforme. Le pays est massivement séparé de son exécutif. Mais c'est une situation qui, jusqu'ici, ne trouve pas de solution ou de stratégie permettant de faire plier le gouvernement.

Comment fait-on pour faire plier un gouvernement?
Les soulèvements qui ont vraiment ébranlé les pouvoirs en place, ces dernières années dans le monde, sont des soulèvements qui ont allié le courage face à la violence d'Etat et la parole au peuple. Des soulèvements qui ont porté une parole collective qui se parvenait à se matérialiser, comme durant le Printemps arabe par exemple. Au Chili, il y a eu un processus constituant qui s'est mis en place.

«Dans le mouvement contre les retraites, qui n'a pourtant pas mobilisé autant de monde depuis des décennies, la bascule n'a pas encore eu lieu»

Pourquoi le mouvement français n'a-t-il pas encore su matérialiser cette rage?
Les gens se sont reposés sur des stratégies d'organisation. Les syndicats, par exemple, en ce qui concerne la rue et les partis politiques, pour l'Assemblée nationale. Mais il n'y a pas eu de grands débats sur ce qui pourrait être la réforme alternative. Ni les partis de gauche, ni les partis de droite, ni les syndicats ne sont tombés d'accord.

Et ça devrait venir du peuple?
Je crois, oui. Il manque clairement une voix délibérative dans cette affaire, qui est la voix de ceux ayant occupé la rue. Peut-être que cette radicalisation qui est en train de s'opérer dans la rage fera émerger des assemblées de portée nationale. Pour contester de manière véritablement démocratique, par le peuple, la légitimité de la prise de pouvoir. Dans toutes les révolutions, ce moment de bascule démocratique fait que le rapport de force peut s'inverser. Dans la confrontation physique, l'armée et la police gagnent toujours.

On a bien compris que les Français sont en colère, mais la réforme des retraites est-elle vraiment leur seule cible?
C'est un tout. Du côté du gouvernement, il n'y a pas de base électorale véritable et légitime. Rappelons qu'Emmanuel Macron n'a eu que 24% des voix sur son programme au premier tour. Si bien que le pouvoir s'est très vite enfermé dans tous les trucs institutionnels de la Ve République. Le 47.1 pour réduire le temps de débat à l'Assemblée, le 38 pour le temps de débat au Sénat, le 44.3 pour bloquer le vote au Sénat et le 49.3 pour faire de même à l'Assemblée.

«Macron s'est lancé dans un enchaînement de verrouillages qui n'avait jamais été utilisé auparavant, surtout avec une opposition du pays aussi grande»

Le citoyen français ressent non seulement une coupure totale entre le président et son pays, mais une souffrance réelle au travail. En ne lui donnant que des objectifs quantitatifs, avec une productivité qui a décuplé, le travailleur a été empêché de bien faire son travail. La gestion très administrative de la pandémie n'a pas aidé.

La réforme des retraites est donc la fameuse goutte d'eau...
Voilà. C'est la goutte d'eau, de cette vision très autoritaire du travail et de la vie, qui a fait déborder le vase. On le voit d'ailleurs sur les pancartes ces dernières semaines. Le Français n'a plus les moyens de donner du sens à sa vie. Une donne que le pouvoir n'a absolument pas prise en compte et qui explique le caractère à la fois massif et viscéral du refus et de la rage.

«La démocratie est dans la rue», pouvait-on entendre jeudi soir. C'est particulier de considérer que son président est en rupture avec l'idée même de démocratie?
On n'a pas eu que de grands démocrates en France, mais Emmanuel Macron, c'est le premier président qui soit à ce point déconnecté de l'aspect politique de la fonction.

«Macron ne semble pas avoir compris qu'il est en charge de l'unité du pays»

Tous ceux qui l'ont précédé, malgré les défauts qui ont été les leurs, avaient toujours cette mission à l'esprit. L'unité était dans l'intérêt du pays. Ce n'est manifestement plus le cas. Personne ne croit à l'intérêt du pays dans cette réforme des retraites. Son discours ne s'est jamais inscrit dans un récit. Certains présidents ont mis parfois vingt ans à imposer un véritable récit avant d'accéder à la fonction. Macron est dans le coup par coup.

A vous écouter, vous semblez rêver de voir cette motion de censure adoptée, non?
Je crois que ce ne serait effectivement pas un mal qu'elle soit majoritaire, mais la probabilité est faible, pour l'instant. Il est possible que la mobilisation dans les jours qui viennent fasse réfléchir quelques élus républicains. Ne serait-ce que pour sauver leur capital électoral.

Si la motion passe, le gouvernement tombe.
Le gouvernement tombe, mais Macron peut le reformer avec Elisabeth Borne. Il peut aussi faire tapis, comme au poker, et dissoudre l'Assemblée nationale. C'est une réelle possibilité, mais avec le risque considérable que, dans la suivante, l'extrême droite y soit encore plus forte. Et ça peut tout à fait être un calcul de sa part.

Et si elle n'est pas adoptée, c'est le chaos dans les rues?
Je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas.

Pardonnez l'expression, mais, dans les deux cas, vous n'avez pas l'impression que la France se retrouverait invariablement dans un bordel monstre?
Il faut garder à l'esprit que le pays n'est absolument pas divisé. Des grosses mobilisations de ce type-là, la France en a déjà connu durant le mouvement des Gilets jaunes. Un mouvement qui a été stoppé net par la pandémie, mais le premier trimestre d'actions a été véritablement un soulèvement. Sans oublier les émeutes extrêmement violentes de 2010. Aujourd'hui, nous sommes finalement dans une situation très française.

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