Dans un épisode de la série Friends, Joey, froissé par une remarque, balançait à Rachel: «Ce n'est pas ce que tu as dit, mais comment tu l'as dit». L'art et la manière. Jeudi après-midi, en dégainant un énième 49.3 pour faire passer sa réforme des retraites aux forceps, le gouvernement Macron a perdu une bonne dose de plumes.
D'abord parce que ce geste représente (déjà) le onzième passage en force de cette législature. Ensuite parce que le président de la République a laissé espérer, jusqu'au bout de la nuit précédente, qu'il souhaitait «aller au vote». Enfin, parce que cette arme constitutionnelle n'a plus tout à fait le même goût dans la bouche de beaucoup de Français.
Jeudi, trempée par plusieurs averses de Marseillaise beuglées dans l'hémicycle par les députés des deux extrêmes, Elisabeth Borne a déclenché ce qu'Olivier Faure a considéré, dans la foulée, comme un «coup d'Etat». Le premier secrétaire du Parti socialiste n'est pas le seul à ne percevoir que violence et acharnement dans l'usage successif de cet article de la Constitution, né en même temps que la Ve République, en 1958.
Ce qui ressemble aujourd'hui à une agressive carte joker pour contourner et bâillonner l'Assemblée nationale était pourtant une astuce utilisée pour couper court aux chamailleries infructueuses. En clair, historiquement, le 49.3 passait crème quand la France pouvait se définir comme suffisamment unie.
A sa manière, le politologue Stéphane Rozès paraphrase Joey de Friends. Depuis plusieurs longues semaines, une partie du pays brûle des pneus dans les rues de Paris, bloque les raffineries et les transports, dans l'espoir, au début, d'être entendus. Dans le but, ensuite, d’atomiser purement et simplement la réforme. Et, ça, Macron n’a jamais voulu le comprendre.
Si le mouvement de colère peut sembler tout à fait légitime, il a été attisé par une gauche dévoilant, de son côté, les pires goujateries et inélégances politiques. Le débat, dans un hémicycle hésitant constamment entre le Cirque Pinder, la cour d'école et le ring de MMA, n'a très vite plus été audible. Pire: crédible. Doigts d'honneur, attaques personnelles, hurlements et mauvaise foi ne servent jamais vraiment le citoyen.
Malgré tout, la Nupes a su se montrer maligne et opportuniste, face à un gouvernement qui a enchaîné les couacs, les imprécisions et les raccourcis pour tenter de faire avaler sa réforme sans risquer la crise de foi. La colère contre un pouvoir «déconnecté», «méprisant» et «hautain» grondait dans l'Hexagone bien avant l'arrivée des petits nouveaux à l'Assemblée nationale. Bien avant la perspective de travailler plus longtemps. Il leur a donc suffi de gratter la croûte du bout des ongles pour que le sang se mette à gicler.
Jeudi aussi, Marine Le Pen et la Nupes ont brandi (une énième fois) la seule arme à leur disposition pour défier le 49.3 et menacer Macron: la motion de censure qui, si elle est adoptée, permettra de renverser le gouvernement. Très hypothétique, notamment puisque Les Républicains ont annoncé ne voter aucune motion. Mais symbolique d’une crise bien plus profonde qu’une pension après avoir bossé toute sa vie.
Impopulaire, isolé, affaibli et sous pression, Emmanuel Macron a perdu. Non pas la guerre, mais la bataille la plus importante de son second quinquennat: conserver (ou regagner?) la confiance des Français et se faire comprendre par des citoyens en boucle sur le refrain de la colère.
Ne plus parvenir à incarner la démocratie dans une démocratie, c'est dangereux. Et défoncer les barrages législatifs sur une question aussi complexe, sensible (et un peu has-been) qui est celle de renflouer un système des retraites totalement à bout de souffle, fait de Macron une sorte d'Obama pré-Trump, offrant une voie royale au populisme rance. Et à Marine Le Pen.