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Interview

«Pour Poutine, l'Ukraine ressemble de plus en plus à un échec»

«Pour Poutine, l'Ukraine ressemble de plus en plus à un échec»
«On peut très bien vaincre Poutine - si on ne se laisse plus berner par lui.»Image: keystone / dr
Interview

«Pour Poutine, cela ressemble de plus en plus à un échec»

Les troupes russes se retranchent pour repousser la prochaine offensive de l'armée ukrainienne. Mais à quoi pourrait ressembler cette contre-attaque? L'expert militaire Marcus Keupp évalue la situation.
01.05.2023, 06:1805.05.2023, 14:10
Marc von Lupke
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t-online

Le but de l'Ukraine est clair: le pays doit être rétabli dans ses frontières de 1991. Mais comment compte-t-elle reprendre la Crimée, fortement fortifiée, à la Russie? Il existe déjà des plans pour cela, mais ils sont très différents de ce que la Russie attend, explique Marcus Keupp. L'économiste militaire analyse comment l'offensive ukrainienne pourrait se dérouler et quelles sont les erreurs commises par l'armée russe.

En tant qu'économiste militaire, vous vous intéressez à la force de l'armée russe, qui s'est plutôt révélée faible lors de la guerre en Ukraine. Comment l'Occident a-t-il pu surestimer la Russie pendant si longtemps?
Marcus Keupp: Si l'on gratte suffisamment longtemps la façade, la Russie se révèle souvent être un village Potemkine. Pour s'en rendre compte, il faut bien sûr quitter Moscou et Saint-Pétersbourg pour aller voir le reste du pays. Mais il y a un domaine dans lequel la Russie est très performante: la propagande sur sa prétendue force.

En Europe justement, on s'est trompé à bien des égards sur la Russie.
En Europe, on croyait volontiers aux contes de fées de Poutine. Des officiers à la retraite se sont assis dans des talk-shows et ont raconté à quel point les réserves russes étaient soi-disant infinies. Mais que s'est-il réellement passé? Les Russes font désormais venir sur le front des chars qui datent de la guerre de Corée.

«Les soldats russes doivent se battre avec des pièces de musée»

Les pays occidentaux se sont jusqu'à présent contentés de la formule «aussi longtemps que nécessaire» pour soutenir l'Ukraine. Mais ne faudrait-il pas plutôt tout faire pour que l'Ukraine gagne la guerre?
Le Royaume-Uni, la Pologne et les pays baltes veulent que l'Ukraine gagne. L'Allemagne et la France, en revanche, souhaitent au moins que l'Ukraine ne perde pas, tandis que les Etats-Unis se trouvent actuellement quelque part entre les deux. Telle est la situation actuelle. Mais en réalité, aucun autre objectif que la victoire de l'Ukraine n'est recommandable. Car si la Russie peut conserver une partie des territoires ukrainiens occupés, cela récompensera l'agresseur. Mais ce n'est pas tout:

«Ce serait aussi le début de la prochaine guerre»

Parce qu'une Russie revancharde planifie déjà sa prochaine campagne?
C'est ce qui se passe. Imaginons que la Russie puisse conserver la Crimée comme forteresse militaire. Pendant dix à quinze ans, Moscou s'armerait à nouveau, puis tout recommencerait. Non, le but de guerre de l'Ukraine n'est pas seulement légitime, il est aussi raisonnable: il s'agit de rétablir le pays dans ses frontières de 1991.

Des troupes russes entrent en Ukraine depuis la Crimée, un jour après le début de l'invasion.
Des troupes russes entrent en Ukraine depuis la Crimée, un jour après le début de l'invasion.Image: EPA

La Crimée en fait clairement partie. Des voix s'élèvent désormais pour avertir que la perte de la péninsule constituerait une «ligne rouge» pour Poutine.
Il y a encore trop de défaitisme dans le monde politique occidental. La Russie parle constamment de lignes rouges, mais quelles menaces ont été mises en œuvre jusqu'à présent? Aucune. On ne peut pas vaincre la Russie, Poutine ne négociera pas, répète-t-on sans cesse en Occident. Mais on peut très bien vaincre Poutine - si on ne se laisse plus berner par lui. Et il est de temps de comprendre ce que la Russie est réellement à l'heure actuelle:

«Un empire brutal qui cherche à s'étendre. Tout le monde devrait l'avoir compris aujourd'hui»

Les «militants pour la paix», notamment en Allemagne, voient les choses différemment...
C'est la conséquence d'une idéologie autoritaire et anti-américaine qui vante la Russie comme un lieu de nostalgie - et qui fait donc exactement ce que veut la propagande de Poutine. La Russie serait soi-disant un Etat pacifique qui aurait été encerclé par le méchant Occident. C'est d'une absurdité totale. Un coup d'œil dans les livres d'histoire montre au contraire que les ambitions impériales sont monnaie courante en Russie depuis le 19e siècle.

L'historien Martin Schulze Wessel parle de la «malédiction de l'empire».
C'est tout à fait exact. La Russie fait preuve d'une brutalité extrême pour imposer ses exigences impériales. C'était notamment le cas lors des deux guerres contre la Tchétchénie, mais l'Occident est resté silencieux à ce sujet. Avec le conflit contre l'Ukraine, nous assistons toutefois à la première grande guerre de la Russie depuis des décennies.

«Et pour Poutine, cela ressemble de plus en plus à un échec»

L'offensive de printemps de l'armée ukrainienne devrait y contribuer.
Il faudrait clarifier ce que peut être cette offensive de printemps et ce qu'elle est capable d'accomplir. L'opinion publique allemande en a une image déformée, beaucoup de gens pensent à la Seconde Guerre mondiale avec ses opérations mécanisées massives sur le front de l'Est. Non, l'offensive ukrainienne se déroulera différemment.

On se dirige plutôt vers une avancée concentrée à travers le front russe.
Exactement. Ce sera l'inverse de ce que les Russes ont essayé de faire l'été dernier: avancer sous un feu nourri et tenter ensuite d'enfoncer le front ukrainien avec la plus grande brutalité possible. Les Ukrainiens ne feront pas cette erreur. Il s'agira plutôt d'une action massive concentrée sur un point précis au moyen de forces mécanisées. Les Russes ne pourront pas faire grand-chose contre cela.

Avez-vous une idée de la date de lancement?
Il est possible que l'offensive ait déjà commencé. D'importants nœuds ferroviaires ont été attaqués dans le territoire occupé par les Russes, et la guerre électronique ne doit pas non plus être sous-estimée. De telles «shaping operations» précèdent une offensive. Mais quand l'Ukraine passera-t-elle effectivement à la contre-attaque? Nous ne le saurons que 24 bonnes heures plus tard, après que l'offensive aura eu lieu.

«Ce sera rapide, précis et surprenant»

Les chars livrés par l'Occident à l'Ukraine vont jouer un rôle important. L'armée ukrainienne en a-t-elle reçu suffisamment?
En additionnant toutes les livraisons des différents pays, l'Ukraine dispose d'un groupe de combat considérable, dont les Leopard 2 allemands. Il devrait s'agir d'environ 150 véhicules mécanisés au total. Ils pourront ainsi percer le front s'ils parviennent à regrouper ces forces.

Quel est l'objectif exact de l'opération? L'ancien général américain Ben Hodges pense, comme vous, que les Ukrainiens veulent rendre la Crimée intenable pour la Russie en la bombardant avec des armes à longue portée.
Il y a plusieurs raisons à cela. L'idée n'est pas de vaincre la Russie de manière conventionnelle, mais de mettre les Russes dans une situation où il ne leur est plus possible de mener des offensives et où leur position devient intenable. En d'autres termes, les soldats russes ne peuvent alors que rester là et s'enterrer. Petit à petit, l'armée ukrainienne les éliminerait alors.

«Si une telle situation se présente, la Russie a perdu la guerre»

Les forces ukrainiennes doivent donc avant tout progresser le plus loin possible en direction des côtes de la mer Noire occupées par la Russie.
Cela ouvrirait de nombreuses possibilités, le quartier général du front sud russe se trouve par exemple à Henichesk, au bord de la mer d'Azov, et il serait alors à portée des missiles ukrainiens. Mais le plus important reste bien sûr la Crimée, les Russes y seraient encerclés en cas de succès ukrainien. Ils auraient le choix entre se retirer par le pont de Kertch ou être lentement anéantis.

Les autorités russes doivent avoir les mêmes réflexions que vous. Les troupes du Kremlin ne se préparent-elles pas à cette menace?
Je ne peux pas imaginer que l'état-major russe n'envisage pas cette éventualité. Mais la question est de savoir ce qu'ils peuvent faire contre cela. Et surtout, parviendront-ils encore à convaincre Poutine avec leurs idées? Leur capacité offensive est actuellement épuisée. Dans cette guerre, je suis toujours frappé par l'incapacité fondamentale des Russes à s'adapter.

«La Russie a des pertes énormes, son matériel est presque épuisé: mais changent-ils de tactique? Non»

Mais l'Ukraine dispose-t-elle d'armes à distance en nombre suffisant? Ou faut-il davantage de systèmes occidentaux?
L'Ukraine ne s'opposerait certainement pas à une augmentation des livraisons par l'Occident. Mais elle dispose d'assez de capacités à longue portée. À l'époque soviétique, elle disposait d'une industrie d'armement très performante. Par exemple, le système de missiles Hrim-2 a une portée de 170 kilomètres. Si les Ukrainiens les utilisent à proximité de la Crimée, cela deviendra très dangereux pour les Russes. Ils peuvent creuser autant de tranchées qu'ils veulent.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
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La guerre en Ukraine dans l'œil d'Alexander Chekmenev
Faces of war pour le New York Times.
source: alexander chekmenev
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