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A cause de la guerre en Ukraine, «il y aura une famine mondiale»

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Mines dans les champs ukrainiens: «Il y aura une famine mondiale»

La guerre détruit de grandes surfaces agricoles en Ukraine. Le chercheur Lukas Fesenfeld met en garde contre une crise alimentaire de plusieurs années et explique comment y remédier.
04.06.2022, 08:35
Annika Bangerter / ch media
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L'Ukraine et la Russie comptent parmi les plus importants fournisseurs de blé au monde: près de 28% des exportations mondiales provenaient de ces deux pays en 2020. La guerre en Ukraine aggrave, aujourd'hui, la faim dans le monde. Une crise alimentaire est à redouter, car les livraisons de céréales en provenance des deux pays sont bloquées.

Le politologue Lukas Fesenfeld mène des recherches sur la politique climatique et alimentaire à l'université de Berne. Avec d'autres chercheurs, il a publié un appel dans lequel il montre comment la catastrophe imminente pourrait être maîtrisée.

Le directeur du Programme alimentaire mondial, David Beasley, a récemment déclaré que 44 millions de personnes étaient au bord de la famine. Peut-on encore l'éviter?
Lukas Fesenfeld: Je ne suis pas très optimiste. De nombreuses personnes souffriront de la faim et mourront probablement de ses conséquences:

«Les pays d'Afrique de l'Est comme le Kenya, la Somalie ou le Soudan sont particulièrement touchés, tout comme les Etats qui dépendent fortement du Programme alimentaire mondial»

Celui-ci s'approvisionne à 50% en blé ukrainien et doit donc faire face à de grands défis. Au niveau européen, des discussions sont en cours pour savoir dans quelle mesure le Programme alimentaire mondial peut être soutenu. Compte tenu de la croissance de l'inflation, la question se pose de savoir comment protéger à la fois les prix nationaux et la propre sécurité alimentaire. Dans ce contexte, il est également décisif de savoir si la Chine interviendra, et si oui, dans quelle mesure.

Pourquoi la Chine joue-t-elle un rôle important?
Ces dernières années, la Chine a toujours été le premier importateur mondial de céréales. En effet, une grande partie des sols chinois ne sont plus fertiles et sont pollués en raison de normes environnementales insuffisantes. L'été dernier, le gouvernement chinois a encore fait importer beaucoup plus de céréales que les années précédentes. On ne peut que spéculer sur les raisons, mais la situation est tout de même étonnante.

An interior ministry sapper collects mines on a mine field after recent battles in Irpin close to Kyiv, Ukraine, Tuesday, April 19, 2022. (AP Photo/Efrem Lukatsky)
Opération de déminage dans la région de Kiev.Image: sda
«La question se pose désormais de savoir si la Chine est prête à ouvrir ses entrepôts à d'autres pays»

Qu'est-ce que vous en pensez?
Je pars du principe qu'il y aura de la famine, même une famine très visible. Cela entraîne une forte pression pour agir dans les pays concernés, ce qui augmente la volonté de faire des concessions dans d'autres domaines, comme par exemple dans les accords sur les matières premières. Il en résulte, notamment, dans les Etats africains, de nouvelles dépendances encore plus fortes vis-à-vis de la Chine. Les Etats-Unis et l'Europe pourraient les atténuer en dotant mieux le Programme alimentaire mondial ou en donnant de l'argent aux pays concernés pour payer les prix actuellement élevés du blé.

Pourquoi le Sud est-il si dépendant du blé ukrainien?
Il y a diverses raisons. Avec la révolution verte des années 1960, de nouvelles méthodes de culture et des variétés à haut rendement ont été introduites dans le sud de la planète. Ceci dans l'espoir de lutter contre la faim. Les pays sont ainsi devenus fortement dépendants des importations en provenance des pays industrialisés, par exemple les produits de semences ou les pesticides. La situation s'aggrave désormais avec les effets du changement climatique.

«De nombreux Etats d'Afrique, mais aussi du Proche-Orient, sont touchés par des vagues de chaleur et des sécheresses exceptionnelles»

Vous avez initié une lettre adressée au gouvernement fédéral allemand. Dans cette dernière, vous et d'autres chercheurs dressez une liste des possibilités de transformation du système alimentaire afin de lutter contre la crise qui menace. Quelles sont les mesures les plus efficaces à court terme?
En Europe, c'est la part de biocarburants qu'il faudrait adapter à court terme. Certaines cultures énergétiques destinées à la production de biocarburants, comme le colza ou le blé, pourraient ainsi rapidement remplacer l'alimentation animale et libérer des surfaces pour la production d'aliments végétaux de base. Certaines céréales actuellement utilisées pour l'alimentation animale pourraient également être directement utilisées pour la consommation humaine.

Lukas Fesenfeld
Le politologue Lukas FesenfeldDR

Y compris chez nous?
Pas nécessairement, mais en cas d'urgence dans les pays en développement où se trouvent des usines à pain qui ne sont pas encore hautement industrialisées et qui pourraient traiter de telles céréales. Cela aiderait à court terme et ferait également baisser quelque peu les prix des denrées alimentaires. La réduction des déchets alimentaires aurait également un grand effet. Tout le monde pourrait y contribuer. Environ 40% des déchets alimentaires en Suisse proviennent des ménages.

«Le troisième point, le plus important, est sans conteste la réduction de la consommation de viande»

Peut-on obtenir des résultats à court terme en renonçant à la viande?
Cela ne permettrait pas d'éviter la crise aiguë de cette année. Mais en principe, environ 60% des terres arables en Suisse et en Europe sont utilisées pour la production de viande. Si ces surfaces pouvaient être réaffectées à la culture de denrées alimentaires végétales, elles permettraient de nourrir de nombreuses personnes. Les effets de la crise alimentaire et de la faim ne se feront pas sentir seulement cette année, mais aussi l'année prochaine et les années suivantes. Et là, une telle reconversion apporterait une très grande contribution.

Pourquoi les problèmes persistent-ils?
La guerre en Ukraine ne devrait pas se terminer immédiatement. Et même si c'était le cas, les champs sont minés et détruits à de nombreux endroits. En tant que producteur important de blé, l'Ukraine ne pourra donc pas approvisionner le marché mondial comme avant la guerre. De plus, les conditions météorologiques extrêmes augmentent en raison du changement climatique. Les récoltes sont perdues et d'importants exportateurs comme l'Inde disparaissent.

«C'est pourquoi il est important de poser maintenant les jalons d'une réorientation stratégique de la politique alimentaire et agricole»

Comment y parvenir?
La réduction de la consommation de viande et d'autres produits d'origine animale permettrait clairement d'obtenir le plus grand effet. Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer complètement à la viande, au lait ou aux œufs. Mais dans l'ensemble, les quantités, et donc la production, doivent être réduites.

Comment ces changements peuvent-ils être amenés?
Ils peuvent être soutenus par des mesures étatiques, comme des fonds de transformation pour les producteurs. Du côté de la consommation, il existe, outre des mesures plus souples comme l'information et l'éducation, des moyens d'économie de marché comme l'introduction d'une taxe climatique ou environnementale sur les denrées alimentaires d'origine animale. Une telle taxe augmenterait le prix de ces produits.

Il s'agit là de fortes interventions dans l'économie de marché et elles ne sont guère susceptibles de recueillir une majorité politique.
Oui, ce sont des interventions fortes, mais de telles interventions existent déjà aujourd'hui. Au niveau européen, une grande partie des subventions agricoles est directement ou indirectement affectée à la production de produits animaux. La consommation est donc déjà très fortement orientée aujourd'hui. Bien entendu, il y aurait des luttes de pouvoir, des conflits d'intérêts et des perdants en cas de réorientation. Il est donc important que des indemnités soient mises à disposition des producteurs concernés, par exemple par le biais d'un fonds de transformation. En outre, de nouvelles perspectives devraient leur être présentées, c'est-à-dire:

«Comment être rentable malgré la nouvelle situation»

Les protestations viendraient aussi des consommateurs.
Nous savons, grâce à des sondages représentatifs de la population, qu'une taxe climatique sur les denrées alimentaires est tout à fait acceptable pour une majorité si elle est bien communiquée. Il y a beaucoup de perceptions erronées à ce sujet chez les décideurs politiques. Mais il est clair que lorsqu'il y a une opposition politique puissante, il est plus difficile de faire passer de telles mesures. C'est pourquoi l'enchaînement stratégique des mesures joue un rôle important.

Un exemple?
S'il y a, par exemple, suffisamment de producteurs et de transformateurs qui profitent d'un changement du système agroalimentaire, ils soutiendront plus facilement l'introduction d'une telle taxe.

Avez-vous également envoyé votre appel sous la forme d'une lettre ouverte au gouvernement suisse?
Non, nous pouvons apporter notre contribution sous la forme d'un panel d'experts. Celui-ci travaille actuellement sur un rapport proposant des mesures pour transformer le système alimentaire suisse.

Avez-vous reçu une réponse de l'Allemagne?
Oui, la lettre a eu un écho assez important. J'ai déjà pu m'entretenir avec le commissaire européen à l'agriculture. D'autres auteurs ont rencontré des représentants de différents ministères allemands, dont le ministère fédéral de l'Alimentation et de l'Agriculture. Nous sommes, toutefois, conscients qu'une telle transformation est une opération complexe. Le processus ne peut être couronné de succès que si tous les acteurs concernés sont assis à la table et comprennent leurs avantages dans une réorientation stratégique de la politique agricole et alimentaire.

En Ukraine, les voitures slaloment entre les mines
Video: watson
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