Les tentes blanches du camp de réfugiés de Khasir se distinguent de loin. La structure s'étend sur une superficie d'environ un kilomètre carré. Elle borde une rivière de laquelle le camp tient son nom. Depuis 2014, des dizaines de milliers d'Irakiens ont trouvé refuge ici pour échapper aux massacres perpétrés par l'organisation terroriste Etat islamique (EI). Aujourd'hui, l'EI n'est plus actif que dans quelques régions isolées du pays, mais les mines et les pièges explosifs laissés par les terroristes sont toujours là. Et ils représentent toujours un danger considérable, dix ans plus tard.
Le camp est situé au Kurdistan, au nord de l'Irak. Il y a ici près de deux douzaines de camps de ce type avec un total d'environ 175 000 habitants. Bagdad veut fermer ces campements d'ici le mois de juillet et forcer les gens à retourner dans leurs villages, qui n'ont pas été déminés.
A trois kilomètres et demi au sud du camp de Khasir se trouve le hameau de Tell Aswad, où une partie de la population est revenue. Cela a été rendu possible grâce à des ONG spécialisées dans le déminage, parmi lesquels la Fondation suisse de déminage (FSD), basée à Genève, qui a fouillé la zone pour désamorcer les engins explosifs. Sur l'une des ruines figure un grand cœur rouge, à côté duquel est écrit en noir, en arabe et en anglais, le mot «déminé».
Et ce jour-là, un invité bien particulier: le conseiller aux Etats argovien Thierry Burkart, membre du conseil de fondation de la FSD depuis un an, a revêtu un gilet de protection bleu clair. Son visage est caché derrière un masque en plexiglas.
On retrouve celui qui est aussi le président du Parti libéral-radical dans un ancien champ de mines de l'EI, au bord de la rivière Khasir. Il se demande si tous les engins explosifs ont vraiment été nettoyés. Peter Smethers, le responsable britannique du programme de la FSD en Irak, se veut rassurant: «Il n'y a aucun danger. Nous sommes dans un champ de mines d'entraînement. Les mines de l'EI ont été désamorcées et sont enterrées là où les terroristes les avaient cachées à l'origine.»
Une équipe de recherche composée de cinq personnes, dont deux femmes, revient du terrain avec des détecteurs de métaux. Il fait 35°C et le politicien porte un pull-over sous son gilet de protection. «Avec cette température, nous faisons une pause d'un quart d'heure toutes les 45 minutes», explique Peter Smethers:
Les actions de la FSD se déroulent en trois phases. Tout d'abord, la population d'une région est sensibilisée aux dangers des bombes, des engins anti-personnels enfouis dans le sol ou des pièges explosifs cachés dans les maisons. Il est particulièrement important d'apprendre aux enfants à faire attention. Des équipes formées à cet effet s'en chargent lors de visites dans les villages, mais aussi par le biais des réseaux sociaux. La chaîne Tiktok de la FSD en Irak est à ce titre particulièrement efficace.
Lors des rencontres avec la population, les collaborateurs de la FSD essaient de déterminer où les combats ont eu lieu et de retracer le cours des événements. Et s'il y a déjà eu des accidents avec des engins explosifs. Cette enquête dite non technique joue un rôle important, car la recherche de mines et le déminage prennent énormément de temps. Cela n'aurait aucun sens de fouiller minutieusement des régions où l'EI n'a jamais été actif et où il n'y a pas eu de combats.
La première phase consiste à identifier les zones à risque et celles sans danger. Elles sont ensuite explorées dans un deuxième temps, mètre carré par mètre carré. Sur le terrain d'entraînement, un Irakien utilise un détecteur de métaux qui repère chaque morceau de métal, aussi inoffensif soit-il, chaque éclat d'obus. Une fois l'objet identifié, il coupe les herbes autour de celui-ci et pose son détecteur au sol.
Avec un appareil laser, il éclaire ensuite les fils de fer qui pourraient déclencher le piège explosif. C'est un travail dangereux, qui demande beaucoup de temps. Le danger ne vient toutefois pas seulement des engins de guerre éparpillés, mais aussi de la nature. Sous la chaleur, les scorpions cherchent parfois l'ombre que les démineurs projettent sur le sol.
La FSD utilise également des drones pour certains types de mines. L'EI a souvent utilisé l'explosif Ammonal, un mélange d'engrais et de poudre d'aluminium. Comme les mines sont enfouies dans le sol depuis dix ans, l'engrais s'est souvent répandu dans le terrain environnant, modifiant la couleur de l'herbe. Les drones permettent de repérer depuis les airs ces taches d'herbe circulaires, qui sont particulièrement vertes.
La technologie des drones pourrait révolutionner la recherche de mines. Depuis dix ans, l'ingénieur Urs Endress, membre du conseil de fondation de la FSD, mène des recherches sur un drone pouvant être équipé au choix d'un radar de sol spécial ou d'un détecteur de métaux. Les ondes radar peuvent pénétrer de quinze centimètres dans le sol, ce qui est suffisant pour trouver des mines antipersonnel. Mais pour une détection sûre des mines antichars, il faudrait que le détecteur soit capable de scanner trente centimètres sous la surface, explique le chef de programme Peter Smethers.
Un prototype a déjà été testé en Ukraine. Il s'est avéré que la technique de mesure fonctionne moins bien dans les sols humides. C'est pourquoi Urs Endress veut tester le drone en Irak, au sec. Selon le septuagénaire, les performances techniques et la vitesse de balayage des surfaces pourraient encore être améliorées en perfectionnant les logiciels. Les avantages sont évidents: les drones seraient plus rapides que les démineurs humains et le risque serait proche de zéro.
Si le détecteur de métaux indique la présence d'une mine, le sol est marqué d'une croix rouge à l'aide d'une bombe aérosol et l'endroit est clôturé avec des piquets en bois et du ruban d'avertissement rouge et blanc. Vient ensuite la phase la plus dangereuse: le désamorçage.
Dans la plupart des cas, il s'agit de mines antipersonnel improvisées par l'EI ou de mines placées dans des récipients en plastique et amorcées par une petite pile de neuf volts. Même après dix ans dans le sol, ces batteries fournissent toujours suffisamment de courant pour déclencher le détonateur.
Et comment fonctionne l'interrupteur de la mine antipersonnel? A côté de la charge explosive, l'EI a enterré une double bande métallique qui est protégée de l'humidité par un tuyau en plastique. La bande est reliée au détonateur par des fils électriques. Si on le comprime, le circuit électrique est activé. L'interrupteur, d'environ un mètre de long, déclenche alors un signal — et la mine saute. Son emplacement est marqué à la peinture aérosol rouge.
Alors que de nombreux hommes et quelques femmes travaillent dans les équipes de recherche, la FSD ne dispose en Irak que de quatre hommes qui se chargent de la partie désamorçage des engins explosifs. Depuis le début des opérations de déminage de la FSD en Irak en 2016, deux décès ont été enregistrés. Les deux fois, il s'agissait de démineurs étrangers. L'un d'entre eux a été projeté à une trentaine de mètres dans les airs par la force de l'explosion.
Un ancien major britannique, qui a publié sous le pseudonyme de Chris Hunter deux best-sellers sur son expérience d'expert en bombes, fait la démonstration en neutralisant une (fausse) mine de l'EI, à déclenchement électrique. Première règle: les téléphones portables et les radios sont interdits à proximité immédiate de l'engin. Car il n'est pas exclu que les ondes radio déclenchent le détonateur.
S'il doit annoncer un danger, Chris Hunter utilisera un sifflet, accroché à son gilet de protection. Il s'agenouille à côté d'une croix rouge au sol et commence à creuser prudemment à côté avec une pelle en plastique. Ses outils ne contiennent pas de métal, même son couteau est en bois. Si une pointe métallique se trouvait entre des fils dénudés ou des bandes de fer utilisées comme interrupteurs électriques, le circuit serait activé et une explosion se produirait.
Une partie de la mine est désormais visible. Chris Hunter nettoie la terre avec un pinceau là où il pense que l'interrupteur et le détonateur se trouvent. Il enlève les pierres environnantes avec les doigts. Des fils deviennent visibles. Ils courent de l'interrupteur au détonateur, d'où part un fil qui mène à l'intérieur du récipient en plastique contenant l'ammonal. L'expert en explosifs peut alors se concentrer sur le détonateur — pour autant que le mécanisme soit clairement visible et qu'il n'y ait pas de soupçon de deuxième détonateur.
Avec précaution, Chris Hunter découpe avec un cutter le ruban adhésif noir sous lequel se trouve la capsule. Lorsqu'elle est séparée du cordon explosif, l'interrupteur ne peut plus déclencher la mine entière, mais juste le détonateur, qui lui est relié par deux fils fins. Puis, à l'aide d'une pince coupante, Chris Hunter coupe les fils, les uns après les autres. Il place ensuite la capsule libérée dans un récipient prévu à cet effet. La mine est désamorcée.
Mais cela se joue toujours à peu de choses. S'il avait coupé les deux fils en même temps, la pince coupante métallique aurait activé le circuit électrique et la capsule aurait explosé.
Le major remarque d'autres fils, visibles sous la mine. Cela pourrait signifier qu'un autre interrupteur s'y trouve. Le danger? Le déclenchement d'un deuxième détonateur si la mine est retirée du sol. Mais ici, couper le fil se révèle plus délicat. Au lieu d'engager directement une pince coupante, Chris Hunter fixe plutôt sur le fil un petit outil de coupe relié à un long câble. Il se met alors en sécurité et, après avoir averti son entourage, tire sur la corde jusqu'à ce que le câble soit coupé. Sans que la mine ne saute.
Thierry Burkart est visiblement impressionné par le travail des chercheurs et des déblayeurs. «La Suisse, en tant qu'Etat neutre, n'a pas soutenu la lutte contre l'EI en Irak et en Syrie.»
«L'image de la Suisse en profite. Cela devrait nous inciter à nous engager d'autant plus dans le domaine du déminage», estime le politicien. Il faut dire que la Confédération soutient les activités de la FSD en Ukraine à hauteur de plusieurs dizaines de millions.
«Le déminage humanitaire permet d'aider de nombreuses personnes. La Suisse pourrait faire beaucoup plus dans ce domaine», affirme avec conviction le président du Parti libéral-radical. «Et la FSD est la seule organisation suisse qui recherche activement et neutralise les mines et les bombes non explosées». En Irak, la FSD a désamorcé environ 25 000 mines au cours des huit dernières années.
Alors que les équipes s'apprêtent à lever le camp, les collaborateurs de la FSD reçoivent des nouvelles de la région de la ville irakienne de Kirkouk. Les équipes de recherche de la fondation y ont découvert un échantillon de mines EI: trois lignes d'engins explosifs au total, chacune longue de plusieurs kilomètres. Cela devrait occuper la FSD encore longtemps dans la région.