L’abaya contrevient-elle à la loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques françaises? La question fait débat outre-Jura. Apre débat, comme on s’en doute. Originaire du Moyen-Orient, l’abaya est cette robe longue et ample, parfois portée en classe par des jeunes filles musulmanes et qui met dans l’embarras le ministère de l’Education nationale.
BFMTV parle de «recrudescence» de cas. Selon la chaîne d’information, le nombre de signalements pour atteinte à la laïcité à l’école se situerait entre 400 et 600 par mois, dont la moitié serait le fait de tenues ou signes religieux, en particulier d'abayas.
Rapide retour en arrière: la loi du 15 mars 2004, qui complète celle de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, visait l’ensemble des signes religieux dits ostensibles. Dans les faits, le voile islamique principalement. La prégnance du fait religieux musulman était telle dans les quartiers populaires, que le gouvernement entendait protéger les jeunes filles musulmanes des pressions de l’entourage, familial ou autre. C’est ainsi que le vote de la loi fut justifié, quand la partie opposée à ce texte dénonçait une législation «néocoloniale» et «islamophobe».
Que faire? L’Education nationale a publié en novembre 2022 une circulaire sur les vêtements à l’école. Le document indique que les abayas sont considérées, de même que les bandanas et les jupes longues, comme des tenues pouvant être interdites «si elles sont portées de manière à manifester ostensiblement une appartenance religieuse».
Le ministre de l’Education nationale, Pape Ndiaye, n’est pas partisan d’une interdiction pure et simple de l’abaya à l'école. L’interdire spécifiquement par voie de circulaire serait mettre selon lui le doigt dans un engrenage sans fin. Après l’abaya, d’autres vêtements ou signes potentiellement religieux défieraient à leur tour la laïcité. Il laisse donc aux chefs d’établissement le soin d’apprécier si le port de l’abaya revêt ou non un caractère religieux, auquel cas des interdictions ponctuelles peuvent être prononcées.
Cette méthode est fortement critiquée par les tenants d’une application ferme de la loi. Comme Natacha Polony, la directrice du magazine Marianne, ils accusent le ministre de fuir ses responsabilités. Cette situation en rappelle une autre, lorsque la première polémique sur le voile est apparue. En 1989, à une époque où l'Arabie Saoudite et l'Iran se disputaient le leadership islamiste, deux jeunes musulmanes avaient été renvoyées de leur collège, parce qu’elles portaient ce qu’on appelait alors un «foulard islamique». Le ministre de l’Education nationale, Lionel Jospin, n’avait pas voulu trancher, renvoyant la patate chaude aux chefs d’établissement. Il avait fallu attendre 15 ans pour qu’une loi, celle de 2004, interdise voiles, kippas et croix (ces dernières, quand elles sont grandes et apparentes).
On retrouve aujourd’hui le front qui s'opposait alors en France, les universalistes contre les multiculturalistes. La France insoumise, qui se veut la voix des quartiers populaires, où vivent de nombreux musulmans, appartient au second camp. Elle n’est résolument pas favorable à une interdiction ministérielle des abayas. Le 7 juin, réagissant à la «une», ce jour-là, du Parisien, la cheffe du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, accusait le journal de verser dans l’«islamophobie»:
Nous traversons une crise sociale sans précédent, une attaque massive des libertés sous Macron, une sècheresse ultra précoce et une guerre alimentaire se profile.
— Mathilde Panot (@MathildePanot) June 7, 2023
Mais le Parisien fait sa Une sur la tenue des femmes musulmanes.
Pour ce journal comme beaucoup d’autres :… pic.twitter.com/T1hftHxsmc
Le 13 juin, sur Franceinfo, le député Manuel Bompard, chef des Insoumis, reconnaissant que l’abaya pouvait dans certains cas avoir une motivation religieuse, déclarait cependant n’avoir «pas l'intention de participer à une énième campagne de dénigrement des musulmans». Il mettait en garde contre «une police du vêtement» et un «Iran à l’envers», manière de renvoyer dos-à-dos la dictature iranienne et la démocratie française. Au surplus, Manuel Bompard se fiait au Conseil français du culte musulman, qui, dans un avis rendu lundi, affirme que l’abaya n’est pas un vêtement religieux.
Les robes abaya à l'école : "Je n'ai pas l'intention de participer à une énième campagne de dénigrement des musulmans", déclare Manuel Bompard. "Il y a peut-être une motivation religieuse". La "pratique" c'est de "discuter". "Vous allez faire la police du vêtement ?" pic.twitter.com/PLhfTdZX2C
— franceinfo (@franceinfo) June 13, 2023
«Ce n’est pas à une organisation religieuse de dire ce qui est religieux ou pas», réagit Florence Bergeaud-Blackler, jointe par watson. Cette anthropologue française vit sous protection policière depuis la sortie, au début de l’année, de son livre Le frérisme et ses réseaux, l’enquête (éditions Odile Jacob).
Pour Florence Bergeaud-Blackler, l’abaya qui fait ici débat «a pour fonction de répondre à une norme religieuse».
Selon l’anthropologue:
Le législateur s’y résoudra-t-il? Temporisera-t-il? Il attendra peut-être la rentrée scolaire de septembre pour apprécier l'évolution du phénomène.