Avec l’islam radical, il y a désormais des lignes rouges à ne plus franchir en France. Et pas dans le sens auquel on croit. C’est l’un des enseignements qu’on peut tirer du reportage consacré par la chaîne M6 à des pratiques et conceptions rigoristes de l’islam, diffusé le 23 janvier. Que s’est-il passé suite à cela? Ophélie Meunier, la présentatrice de Zone interdite, l’émission à l’origine du reportage, ainsi qu’un des témoins qui y apparaît à visage découvert, Amine Elbahy, ont été placés sous protection policière après avoir été menacés de mort.
Plus encore que la jurisprudence Charlie Hebdo, dont la rédaction avait été décimée le 7 janvier 2015 par deux terroristes islamistes, c’est la jurisprudence Samuel Paty, ce professeur assassiné le 16 octobre 2020 par un jeune Tchétchène versé dans le djihadisme, qui parle ici.
Le risque? Que plus aucun média ne veuille traiter de la radicalité dans l’islam par crainte de représailles. La déclaration de l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, le 31 janvier au micro de RTL, aura peut-être agi comme un déclic.
Si personne ne réagit, «demain, quelle chaîne, quel journaliste, quelle présentatrice» voudront s’emparer de sujets liés à l’islam radical?, a alerté l’avocat qui vit lui-même sous protection policière. «C’est la liberté d’expression de tous qui est en jeu», a-t-il martelé.
🔴 @ophmeunier placée sous protection policière suite au reportage de @ZoneInterdite sur l'Islamisme
— RTL France (@RTLFrance) January 31, 2022
💬 Me #RichardMalka : "Ce qui fait qu'on est en danger c'est qu'on est seul. Refusons les pressions" pour répondre "à ces terroristes intellectuels"
➡️ #RTLSoir avec @marioncalais pic.twitter.com/RX9wYpe4MB
Le 1er février, le quotidien Le Monde – «avec une semaine de retard» par rapport à la date de diffusion du reportage, ont maugrée certains non sans saluer la démarche – a publié un éditorial des plus clairs, ne reculant pas devant l’emploi de certains mots, dont une partie de l’échiquier politique, essentielle au sein de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, affirme qu’ils stigmatisent les musulmans. Extrait:
Dès le 30 janvier, Edwy Plenel, le directeur de la publication de Mediapart, généralement accusé par Richard Malka et Charlie Hebdo de frilosité sur les questions en rapport avec l’islam, a réagi d’un tweet repris à l’organisation Reporter sans frontières:
#France : @RSF_inter condamne les menaces dont a fait l'objet la présentatrice de @M6, @opheliemeunier, après la diffusion d'une enquête sur l'islam radical à #Roubaix. RSF apporte son soutien à la journaliste placée sous protection de police. https://t.co/VAq7DjBKuw
— RSF en français (@RSF_fr) January 30, 2022
Puis, le 1er février, sur Twitter encore, il a relayé un article du Figaro portant sur le même sujet. Une manière de montrer un front uni face à l’inacceptable pour le travail des journalistes:
« En France, en 2022, la liberté d’expression des journalistes ne cesse d’être mise en péril. Il y a un accroissement du niveau de violence et de menaces, alimenté par la montée du cyberharcèlement sur les réseaux sociaux » @RSF_inter https://t.co/x49yL2IlfV
— Edwy Plenel (@edwyplenel) February 1, 2022
A la suite de ces prises de parole, certains, disant avoir été menacés de mort ou l’être toujours, ont fait part d’un sentiment de deux poids, deux mesures pour ne pas bénéficier, eux, de protection policière. C’est notamment le cas de la journaliste Nadiya Lazzouni qui officie coiffée d’un turban sur la chaîne en ligne Le Média:
Il y a bientôt 1 an, je recevais des menaces de mort à mon domicile. C'était en avril puis d'autres en mai. J'ai dû quitter mon domicile. J'ai pu compter sur le précieux soutien de @IFJGlobal @SNJ_national @SnjCgt mobilisés par @T_Bouhafs et @attilamong @ECPMF Depuis ? Statu quo. https://t.co/O7p8anRIj4
— Nadiya Lazzouni (@nadiyalazzouni) February 1, 2022
Comme le disait encore Richard Malka sur l’antenne de RTL: quand on n’est pas d’accord avec les propos d’un média, «on peut saisir les tribunaux», mais on n’exerce pas sur eux un «terrorisme intellectuel».
Le 1er février, un collectif de musulmans, parmi eux le directeur du site musulman Oumma.com, publiait dans Le Monde une tribune prenant le parti de la liberté d'expression et rejetant les manifestations radicales de l'islam. Extrait:
A Roubaix, dans le département du Nord, où des «pratiques extrémistes», de type salafiste, ont été mises au jour par les équipes de M6, une partie des habitants s'estime stigmatisée par la mauvaise image donnée de leur ville à cette occasion», rapporte Bruno Renoul, journaliste à La Voix du Nord, présent dans le documentaire en tant que témoin et qui n'a pas pour habitude de taire les problème liés à l'islamisme.
Roubaix, 90 000 habitants, dont «46% vivent au-dessous du seuil de pauvreté», compte entre 30 et 40% de musulmans, selon des estimations officieuses. «Les musulmans s'y sentent à l'aise, et la typologie musulmane y est très diverse. Si la ville dénombre une importante communauté salafiste, la plupart n'ont pas forcément une attache religieuse forte, voire n'en ont pas du tout», poursuit Bruno Renoul.
«Et contrairement à ce qu'on a constaté dans des villes plus petites comme Trappes, en région parisienne, ou Lunel, dans le Sud de la France, le nombre de départs pour le djihad en Syrie, rapporté au nombre de musulmans roubaisiens, a été relativement limité, entre 10 et 20 individus», précise le journaliste.