Shira Kaplan a grandi à Herzlia, au nord de Tel-Aviv, et a fait son service militaire comme la plupart des femmes laïques. Elle a travaillé pour le service secret israélien «Unit 8200». Celui-ci est spécialisé dans la surveillance des canaux de communication et comparable à la NSA américaine. Depuis 13 ans, l'Israélienne vit à Zurich. Elle y dirige une entreprise de cybersécurité avec laquelle elle vend des technologies israéliennes en Suisse et investit dans des start-up.
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Comment suivez-vous la guerre dans votre pays?
Shira Kaplan: Je peux en avoir un aperçu direct via des groupes sur la plateforme Telegram. Un flot continu de vidéos montre ce qui se passe sur le terrain, minute par minute. Combiné avec de nombreux groupes WhatsApp et des médias en ligne, il est ainsi possible aujourd'hui de suivre la guerre en direct.
Vos proches sont-ils en sécurité?
Oui. Ma nièce, qui a 21 ans, est officière de renseignement près de Gaza. Elle est en sécurité, mais travaille 24 heures sur 24. Nous, les Israéliens, sommes très connectés les uns aux autres.
Comment vous sentez-vous?
Comme dans un cauchemar. Nous ne comprenons pas comment cette attaque a été possible. Elle nous a complètement pris par surprise. Jamais dans l'histoire de l'Etat d'Israël, nous n'avions eu une journée avec autant de morts. C'était un massacre. Les gens sont en colère parce qu'il a fallu six heures à l'armée pour se mobiliser. Ils se sentent négligés et trahis. Tout le monde se demande comment cela a pu se produire.
Israël dirige certains des meilleurs services secrets du monde. Comment ceux-ci n'ont-ils pas vu venir l'attaque?
Israël était occupé par des luttes internes. L'ennemi l'a remarqué et en a profité. Le Hamas a lui-même dit qu'il s'est senti encouragé parce que les Israéliens manifestent dans les rues depuis plus de 40 semaines. De nombreux réservistes israéliens ne s'engagent plus dans l'armée pour faire pression sur le gouvernement.
Voilà donc ce qui n'a pas fonctionné stratégiquement. Mais qu'est-ce qui n'a pas marché sur le plan tactique?
Il n'y a qu'une seule explication: les Palestiniens ont dû programmer un système de communication crypté que nous avons complètement raté lors de la surveillance. Certains indices laissent penser que la Russie a soutenu les Palestiniens. Il est probable que l'Iran et l'Arabie saoudite aient également contribué à ce développement technologique. L'action a été planifiée pendant des mois, probablement plus d'un an.
Se pourrait-il que les services de renseignement se soient trop concentrés sur la surveillance technologique et aient négligé le travail des informateurs humains?
Non. Les services de renseignement obtiennent leurs informations de trois principales manières. La surveillance des canaux de communication (Signals Intelligence), le travail avec des sources humaines (Human Intelligence) et l'exploitation d'informations accessibles au public (Open Source Intelligence). Les services secrets israéliens investissent tous les domaines.
Comment se fait-il qu'ils n'aient rien vu venir?
C'est la question à un milliard de dollars. Des livres seront écrits et des films seront tournés à ce sujet. Pour l'instant, il est trop tôt pour donner une réponse. Des gens sont actuellement blessés dans des hôpitaux ou tenus en otage dans la bande de Gaza.
L'événement est comparé à l'attaque terroriste du 11 septembre. A juste titre?
L'attaque est comparée à deux événements. La surprise est similaire à celle de la guerre du Yom Kippour, qui a également éclaté un jour férié. L'humiliation est similaire à l'attaque des tours jumelles à New York. L'Etat israélien n'en avait jamais connu de semblable depuis sa création il y a 75 ans.
Dans votre jeunesse, vous étiez habituée aux bombes et aux alertes terroristes.
Quand j'étais enfant, j'ai vécu dans un bunker pendant un mois parce que Saddam Hussein tirait des roquettes depuis Bagdad. Nous portions des masques à gaz. J'ai été adolescente dans les années 1990, lorsque des bus ont explosé à Tel-Aviv.
Qu'est-ce qui a changé?
Au cours des dernières décennies, nous, les Israéliens, avons compris que nous n'étions pas seuls au monde et que nous devions nous adapter. Nous sommes devenus un peu comme des Européens, polis, qui font des compromis. Mais aujourd'hui, les lois du Proche-Orient s'appliquent à nouveau: la loi du plus fort. Nous ne pouvons plus accepter que nos régions frontalières craignent constamment des attaques. Trois mille attaques de missiles par jour, ce n'est pas possible.
Que va-t-il maintenant se passer?
La réaction d'Israël sera brutale. Des enfants et des civils mourront. C'est le problème de la bande de Gaza: les terroristes se cachent dans les écoles et les maisons civiles. Des milliers de tonnes d'explosifs s'abattront sur eux, ce sera très douloureux à voir.
Vous sentez-vous en sécurité en Suisse?
Dans le monde entier, il faut s'attendre à des attaques. En Egypte, à Alexandrie, un bus transportant des Israéliens a été attaqué au lendemain de l'attentat. Impossible de savoir ce qui va se passer. La Suisse est sûre, oui. Mais les Israéliens doivent être prudents partout, en ce moment.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder