Mille choses peuvent être dites sur Silvio Berlusconi, décédé ce lundi matin à Milan à l'âge de 86 ans. Trois fois premier ministre, magnat de la télévision, président du FC Milan, le Cavaliere était également lié à une longue liste de frasques et problèmes judiciaires, dont le plus célèbre se résume en deux mots: «bunga-bunga».
Cette expression n'est pas née en Italie, ni en 2010, quand le scandale éclate au grand jour. Elle a été inventée un siècle plus tôt, au Royaume-Uni, dans le cadre d'un canular raciste. N'empêche: elle sera à jamais liée à Berlusconi et à cette sombre affaire judiciaire. Laquelle commence presque par hasard, avec une banale interpellation. On rembobine.
Mai 2010: une jeune femme d'origine marocaine, pas encore majeure, est arrêtée à Milan pour vol. Son nom est Karima El Mahroug, mais on l'appelle également «Ruby Rubacuori» (littéralement «Ruby la voleuse de coeurs», en français). Les policiers ne le savent pas, car elle n'a aucune pièce d'identité sur elle. Ce qui ne fait que rendre encore plus déroutant l'appel téléphonique qu'ils reçoivent pendant la soirée. A l'autre bout du fil, le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi.
Le Président du conseil des ministres affirme que Ruby serait la fille du président égyptien, Hosni Moubarak. L'interpellation risque de tourner à l'incident diplomatique, et elle est alors relâchée. Sauf qu'il n'en est rien, son lien de parenté avec le dirigeant égyptien a été inventé de toutes pièces. L'intervention personnelle de Berlusconi, elle, est au contraire bien réelle. Et suspecte.
Quelques mois plus tard, une enquête du parquet de Milan accuse Berlusconi d'avoir abusé de son pouvoir pour obtenir la libération de Ruby. Pire, le chef du gouvernement aurait agi de la sorte pour dissimuler un délit bien plus grave, la prostitution de mineurs. Le «Rubygate» éclate.
D'autres enquêtes révèlent en effet que des «soirées érotiques» étaient organisées dans la somptueuse villa du Cavaliere, située dans la commune lombarde d'Arcore, entre février et mai 2010. Les fameuses soirées bunga-bunga. Des personnalités de la télévision y étaient conviées, ainsi que plusieurs jeunes filles, souvent mineures. Ruby en faisait partie. Elles auraient fourni des services sexuels en échange d'argent et de faveurs.
Les soirées se tenaient dans ce que les participantes ont par la suite appelé «la salle du bunga-bunga»: le sous-sol de la villa de Berlusconi, aménagé en boîte de nuit avec bar, canapés et barre de lap dance.
Le procédé était le suivant, raconte Le Monde: calé dans un large fauteuil blanc, Berlusconi, alors septuagénaire, faisait comparaître ses jeunes invitées, avant de choisir celle avec laquelle il se retirera. En échange de leurs prestations, les filles se voyaient remettre des enveloppes contenant jusqu'à 7000 euros, en cash, ainsi que la promesse de carrières dans les émissions télévisées du Cavaliere.
Les témoignages que certaines filles ont tenus devant les juges, dans les procès qui ont suivi, permettent de se faire une idée de ce qu'il se passait dans le sous-sol de la villa d'Arcore. Les récits évoquent des histoires grotesques. Les participantes effectuaient des strip-teases, parfois déguisées en nonnes sexys, en Barack Obama ou même en Ronaldinho.
Ruby a évoqué des «danses sensuelles», mais a nié avoir eu des rapports charnels avec Berlusconi. Elle a également affirmé «n'avoir jamais vu de contacts physiques» entre les jeunes femmes et le Cavaliere.
Imane Fadil, une autre fille également d'origine marocaine, a par contre déclaré que les jeunes invitées avaient bel et bien des relations sexuelles avec le Président du conseil des ministres, parce qu'elles «s'en plaignaient et avaient peur des maladies». Les filles qui passaient la nuit à Arcore avaient droit à des rémunérations plus élevées. Comme Ruby et Imane Fadil, elles vivaient parfois dans des conditions économiques précaires.
Suite à ces révélations, Berlusconi est poursuivi pour incitation à la prostitution de mineure et abus de pouvoir. Interrogé à ce sujet, le Cavaliere se défend à sa façon, en évoquant des «soirées détente». «Je travaille depuis toujours à un rythme infernal et s’il m’arrive de temps en temps de regarder les belles femmes», affirme-t-il. Et d'ajouter:
Les juges ne l'entendent pas de cette oreille. En juin 2013, le Cavaliere est condamné en première instance à sept ans de prison et interdiction à vie de tout mandat public... avant d'être acquitté deux ans plus tard. Berlusconi ne parviendra plus à se faire élire à la tête du pays après cette affaire, mais ne disparaîtra pas non plus du paysage politique italien, en restant actif, avec des hauts et des bas, jusqu'à son décès.
Reste que toute cette affaire ne semble pas avoir secoué le principal intéressé. En 2011, quelques mois seulement après l'éclatement du scandale, Berlusconi affirme, en remettant un prix à de jeunes diplômées: