En Italie, un lien étroit unit les organisations criminelles et la destruction de la nature. Parmi ses nombreuses activités, la mafia est aussi à l'origine de plusieurs délits qui nuisent directement à l'environnement. C'est ce qu'on appelle l'«écomafia».
«L'écomafia désigne le point de rencontre entre trois types de criminalité différents: la criminalité environnementale, économique et mafieuse», explique Enrico Fontana, responsable de l'Observatoire de l'environnement et de la légalité pour l'association Legambiente. «Il s'agit d'organisations qui s'échangent des faveurs, qui collaborent et dont l'existence est étroitement liée.»
C'est précisément Legambiente qui est à l'origine du terme. L'association a publié en décembre son nouveau rapport annuel, qui fournit une vision d'ensemble d'un phénomène tragiquement répandu: en 2021, 30 590 délits environnementaux imputés au crime organisé ont été signalés dans tout le pays. Ce qui correspond à une moyenne de près de 84 cas par jour.
L'écomafia prend plusieurs formes. Les délits les plus répandus sont liés au cycle illégal du ciment. 9490 infractions ont été recensées en 2021, soit 31% du total. Ces crimes, qu'Enrico Fontana qualifie de «particulièrement inquiétants», concernent tout le secteur du bâtiment. De l'extraction illégale, aux maisons bâties sans permis de construire.
«Les organisations criminelles proposent des raccourcis pour construire des maisons plus facilement, sans avoir à penser aux permis», développe Enrico Fontana.
Résultat: «Ce phénomène dévaste les plus beaux endroits du pays», illustre Legambiente sur son site. «Les maisons restent souvent à l'état de squelettes inachevés, des cottages et des hôtels privatisent des pans entiers de plage, s'élevant au milieu du lit des rivières ou dans des zones à risque hydrogéologique»
«Les carrières illégales, de leur côté, assurent aux criminels des marges de profit bien plus élevées par rapport à des structures en règle», explique Enrico Fontana.
La deuxième activité criminelle la plus répandue, et de loin la plus médiatisée, est celle liée à l'élimination illégale des déchets, avec 8473 délits certifiés en 2021.
«Il s'agit des crimes parmi les plus dangereux et les plus rentables commis par les criminels de l'environnement», explique Legambiente. «Au lieu d'être gérés dans les règles, les déchets sont traités de manière irrégulière». Souvent, «pour le compte d'entreprises qui veulent se débarrasser de leurs déchets à moindre coût», complète Enrico Fontana.
Le système est très simple: les déchets sont brûlés, parfois à l'intérieur d'entrepôts industriels abandonnés, pleins à craquer.
Et les conséquences sont catastrophiques. Ces incendies empoisonnent l'air, contaminent les eaux souterraines, polluent les rivières et les cultures agricoles. «Des vies sont en jeu», résume Enrico Fontana. «Dans la "terre des feux", zone située entre les provinces de Naples et de Caserte (qui doit son nom à ces pratiques), une corrélation a été établie entre les cancers graves et la présence d'incendies et de décharges illégales».
La quantité de déchets saisis en 2021 dépasse 2,3 millions de tonnes, soit l'équivalent de 94 537 camions: mis sur la route, l'un derrière l'autre, ils formeraient une ligne de 1286 kilomètres. Suffisant pour couvrir, par exemple, la distance entre Reggio de Calabre et la frontière suisse.
Les réseaux actifs dans le secteur des déchets sont très articulés et impliquent généralement des entrepreneurs et des chefs d'entreprise, des courtiers, des fixeurs, des administrateurs locaux et des techniciens sans scrupules, explique Legambiente. Ils s'appuient sur «des pratiques éprouvées de corruption, de fraude et d'évasion fiscale, actives dans tout le pays».
L'écomafia s'étend en effet sur l'ensemble du territoire national. Les régions les plus touchées restent celles où la mafia est traditionnellement présente: la Campanie, les Pouilles, la Calabre et la Sicile, qui cumulent à elles seules 43,8% des délits constatés en 2021. Mais les crimes environnementaux ne sont pas l'apanage du sud du pays: 6% des infractions ont été commises en Lombardie ou en Toscane, et, au niveau provincial, Rome prive Naples de la première place dans ce triste classement.
«Pour ce qui est du cycle des déchets, les régions les plus touchées sont la Sicile, la Campanie, la Lombardie et le Latium», explique Enrico Fontana.
Tout cela est très rentable. En 2021, ces crimes ont généré un chiffre d'affaires de 8,8 milliards d'euros et «probablement estimés à la baisse», estime Fontana.
Legambiente se bat depuis les années 1990 contre l'écomafia. Après 20 ans de lutte, en 2015, les délits contre l'environnement ont été inscrits dans le Code pénal. Malgré cette avancée majeure, il reste encore beaucoup à faire, déplore Enrico Fontana.
En 2021, les crimes environnementaux ont, par ailleurs, légèrement diminué par rapport à l'année précédente. L'association invite à ne pas baisser la garde et propose au gouvernement un plan de dix propositions pour rendre plus efficace l'action de l'Etat.
«On avance, même si c'est de manière laborieuse», conclut Enrico Fontana. «Depuis 1995, la commission d'enquête parlementaire a travaillé de manière fructueuse. Elle a parcouru un long chemin, mais ses temps restent bibliques par rapport à la réalité de la criminalité».