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Antisémitisme: en France, des milliers de juifs ont fui la banlieue

Des dizaines de tombes profanées dans un cimetière juif de Lille.
Des dizaines de tombes profanées dans un cimetière juif de Lille. image: keystone

Antisémitisme: des milliers de juifs ont fui la banlieue parisienne

Alors que s'est ouvert lundi à Paris le procès des auteurs présumés du meurtre d'une retraitée juive, l'inquiétude demeure forte parmi de nombreux Français juifs. Rencontre en banlieue parisienne.
26.10.2021, 19:0807.04.2022, 13:36
stefan brändle / ch media
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La première fois, les inconnus ont volé des cartes de crédit, des bijoux et un scooter. Après que Stella Bensignor a déposé plainte au commissariat de police de Romainville (une commune de la Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris), ils sont revenus. «Ils ont griffonné "Juif" et "Israël" en grosses lettres sur les portières de ma voiture», raconte cette Française de confession juive, choquée par cette agression. «Je ne tenais plus sur mes jambes, je me suis mise à trembler. Et quand, ensuite, j'ai emmené la voiture chez le carrossier, il a constaté que les écrous des roues de mon Opel Mokka avaient été desserrés.»

La police a dit: «Déménagez!»

C'en était trop. Stella Bensignor, qui est née et a grandi à Romainville, a déménagé avec sa famille dans un endroit moins dangereux. Elle s'est décidée lorsque le policier qui s'occupait de son cas, s’adressant à elle comme un père, non comme un policier, lui a dit: «Déménagez!» Les Bensignor, qui attendent toujours l'arrestation de leurs agresseurs, ont quitté les lieux au plus vite. «On est parti sur le champ», raconte la Française de 52 ans, qui travaille désormais dans un salon de beauté parisien.

Aujourd'hui, elle vit avec sa famille dans une banlieue parisienne, dont elle ne souhaite pas qu’on écrive le nom. L’immeuble de dix-sept étages où elle habite n’a rien de très engageant:

«On s’en moque, pour nous, ce qui compte, c’est d’être entouré de beaucoup de voisins»

Sur son pallier vivent un Maghrébin et une famille africaine. «Nous nous entendons très bien et chacun prend le courrier de l’autre quand il est absent.» Toute crainte n’a pas disparu. Au café, Stella Bensignor jette toujours un œil autour d’elle.

20 000 juifs sont partis

Et la peur des attaques antisémites? «J'espère que ça ne viendra pas jusqu’ici», répond l'énergique femme habillée en noir. «Dans notre quartier, on vit entre gens du peuple, personne ne parle de religion. Ici, pour l’instant, que le boucher soit halal ou le boulanger casher, cela n’a heureusement pas d'importance.»

Ailleurs, cela en a. Dans certains quartiers de l'immense périphérie parisienne, on ne trouve plus aucun juif. Environ 20 000 juifs ont déménagé ou ont quitté la France ces dernières années, estime le BNVCA, le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme. Dans un livre, le démographe Jérôme Fourquet a recensé quelques cas de ces saignées observées dans des villes «difficiles» de la banlieue parisienne: à Aulnay-sous-Bois, le nombre de familles juives est passé de 600 à 100 au cours des quinze dernières années, au Blanc-Mesnil de 300 à 100, à Clichy-sous-Bois de 400 à 80.

La plupart ont déménagé ailleurs en France, d'autres sont partis s'installer en Israël. Et les parents juifs qui restent en France inscrivent leurs enfants dans des écoles juives privées, un phénomène en plein essor. Stella Bensignor a fait pareil: «Nous n'avions pas le choix, même si mes enfants ne portaient pas la kippa.»

Poignardée après avoir échappé à la déportation

Personne ne connaît les chiffres exacts de l'exode des juifs, car la France, par principe, ne tient pas de statistiques ethniques ou religieuses. Ce qui est incontestable, c'est que depuis l'affaire Dreyfus, il y a un bon siècle, et depuis la persécution des juifs sous le régime de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux juifs français – qui forment la plus grande communauté juive d'Europe – se sentent à nouveau menacés. Dans leur existence même.

Hommage à Mireille Knoll à Paris.
Hommage à Mireille Knoll à Paris. image: keystone

Aujourd'hui s'ouvre à Paris le procès des auteurs présumés du meurtre de Mireille Knoll, une Parisienne juive qui a échappé de justesse à la déportation vers un camp de concentration en 1942. Elle avait été poignardée à mort en 2018 par une connaissance scandant «Allahu Akbar». L'argent serait le motif de cette agression fatale, affirme l'un des deux accusés.

Mireill Knoll, poignardée à mort alors qu'elle avait 85 ans.
Mireill Knoll, poignardée à mort alors qu'elle avait 85 ans.image: keystone

Selon le ministère public, l'antisémitisme a également joué un rôle dans une affaire de cambriolage à Livry-Gargan. Dans cette commune défavorisée de la Seine-Saint-Denis, cinq individus se sont introduits dans le domicile de retraités juifs. Ils les ont attachés et battus pour leur extorquer les codes de leurs cartes de crédit – «parce que les Juifs ont de l'argent», ont déclaré les suspects après leur arrestation.

«L'antisémitisme est d'abord nié, puis banalisé»

L'horrible mort infligée à Sarah Halimi a suscité une polémique portant sur la qualification juridique de l'acte et la responsabilité pénale de son auteur. En 2017, après avoir été frappée, la retraitée juive avait été jetée par-dessus son balcon par un voisin, un jeune Malien. Il a déclaré à la police qu'il avait voulu exorciser le «Sheitan» (diable). Malgré les fortes protestations de la communauté juive, il a été déclaré fou et interné en psychiatrie. Stella Bensignor s'en agace: «A chaque acte de violence, l'antisémitisme est d'abord nié, puis banalisé.»

Tracts dans des boites aux lettres

Elle vient d’avoir des nouvelles de son ancienne commune Romainville. À la mi-octobre, on y a trouvé des tracts antisémites dans une cinquantaine de boîtes aux lettres, portant des inscriptions telles que celles-ci: «Banquiers juifs ripoux», ou: «Tous juifs, tous socialos». L'auteur, un homme âgé selon une caméra de surveillance, ressemble plus à un extrémiste de droite qu'à un extrémiste musulman. Il n'a pas encore été arrêté.

Stella Bensignor soupire. Elle se dit très heureuse d’être partie de Romainville. «De m’en être enfuie», corrige-t-elle.

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