Investissements immobiliers à Courchevel, achats de montres de luxe, comptes offshores dans des paradis fiscaux: un réseau de blanchiment lié à une bande criminelle corse va être jugé à partir de ce lundi à Marseille.
Connu pour trafic de drogue, extorsions et assassinats, le clan du «Petit Bar» est accusé d'avoir lavé des dizaines de millions d'euros d'argent sale via Hong Kong, Singapour, le Luxembourg ou la Suisse. Un réseau international pour lequel 24 personnes vont comparaître jusqu'au 16 mai devant le tribunal correctionnel.
Plusieurs membres de cette bande avaient déjà été condamnés en 2010 pour un trafic international de stupéfiants. Mais le bénéfice de ce réseau, évalué à «au moins 30 millions d'euros», n'a jamais été retrouvé, rappellent les juges.
Sur le banc des prévenus apparaîtront les principales figures du «Petit Bar», et notamment Jacques Santoni, alias «Tahiti», le chef présumé du clan, tétraplégique depuis un accident de moto en 2003.
Selon l'ordonnance de renvoi devant le tribunal, longue de 934 pages, c'est lui qui aurait dirigé l'«organisation structurée et hiérarchisée» mise en place entre janvier 2018 et janvier 2021 en Corse-du-Sud, en Ile-de-France et «par lien d'indivisibilité à Hong Kong, Singapour, en Suisse et au Luxembourg».
Ce «système mafieux» n'aurait toutefois pu exister et prospérer «sans l'intervention d'individus du monde économique», qui ont «accepté de mettre à disposition leurs surface financière et réseaux», selon les juges d'instruction.
Parmi ces acteurs figure notamment un citoyen suisse. Présenté «à la fois comme victime et acteur», ce riche homme d'affaires est en fuite et fait l’objet d’un mandat d’arrêt international ainsi que d’une demande d’extradition. Sa fille, avocate, devrait pour sa part être bien présente au procès, où elle est accusée d'être «la courroie de transmission» entre un membre du clan et son père.
Selon la Tribune de Genève, il était déjà apparu dans l’affaire opposant le milliardaire russe Dmitri Rybolovlev au marchand d’art suisse Yves Bouvier. Dans le cadre du procès corse, il se retrouve cette fois poursuivi pour «blanchiment en bande organisée» et «participation à une association de malfaiteurs».
Originaire d'Ajaccio et actif dans le monde de l'art, il avait auparavant été directeur d’un cercle de jeux parisien. En 2008, il avait déjà trempé dans une affaire de blanchiment dans l'exercice de ces fonctions.
Le Franco-Suisse s'est ensuite reconverti dans l'art, avec visiblement bien du succès puisque la justice française a évalué son patrimoine à plus de 82 millions d’euros. La Tribune de Genève relève toutefois une ombre au tableau: il a été entendu par la police en 2010 dans le cadre d’un règlement de comptes à Ajaccio, son numéro apparaissant dans l’agenda d'une victime tuée par balles.
Il est depuis suivi de près par les enquêteurs français, ces derniers voyant notamment du blanchiment dans l'obtention d'un prêt - associé à sa galerie genevoise - pour couvrir une opération immobilière à Courchevel.
L'homme aurait en outre omis de rendre la somme de deux millions de francs suisses au clan du «Petit Bar», ce qui lui a valu de très explicites menaces de leur part et expliquerait en partie pourquoi il refuse de se rendre au procès à Marseille.
Un autre aspect «suisse» intéresse les limiers français avec l'implication présumée de l'homme d'affaires multimillionnaire Jean-Pierre Valentini, présenté comme «parfaitement intégré dans la sphère du Petit Bar». Ancien responsable Afrique du géant du négoce de matières premières Trafigura, il était considéré en 2016 comme le quatrième résident français le plus riche de Suisse.
Selon la Tribune de Genève, il est également poursuivi «blanchiment en bande organisée» et «participation à une association de malfaiteurs», principalement pour des investissements immobiliers à Courchevel et pour ses liens avec le promoteur AP.
Parmi les autres prévenus figurent les bras droits de Jacques Santoni, Mickaël Ettori, Pascal Porri et André Bacchiolelli, qui contestent tous les faits, à l'image de leur chef. Ettori, comme trois autres personnes dans ce dossier tentaculaire, est en fuite.
Autre prévenu, Antony Perrino, poids lourd de l'immobilier en Corse et «ami d'enfance» de plusieurs membres du «Petit Bar», avec qui il est accusé d'avoir «des comptes communs occultes». Mais aussi Stéphane Francisci, cousin de Jacques Santoni aux «nombreux contacts dans le monde des jeux mais également dans le milieu économique», François-Xavier Susini, «bien en place à Courchevel» ou encore Alain Mourot, présenté comme« l'homme ressource sur la place parisienne pour les personnes soucieuses de blanchir leurs fonds».
A leurs côtés figureront Sonia Susini-Santoni, présentée comme la «pierre angulaire du système clanique dirigé par son époux» Jacques Santoni, et son frère Jean-Laurent Susini. Ils sont notamment soupçonnés d'avoir aidé le chef du «Petit Bar» à blanchir deux millions d'euros grâce à un véritable gain de quatre millions d'euros au loto.
D'autres femmes seront également jugées, dont Saveria Lucchini, la compagne de Michael Ettori, et Valérie Mouren, celle de Pascal Porri.
Deux «membres de la communauté chinoise d'Aubervilliers» sont de leur côté soupçonnés d'avoir remis «d'importantes sommes d'argent issues du blanchiment international de fonds via des sociétés chinoises».
Trois autres prévenus ont déjà été condamnés dans ce dossier, dans des procédures de plaider coupable, entre décembre et février: la maîtresse de Pascal Porri, Marion Demorissi ; Thierry Luksenberg, un apporteur d'affaires condamné pour son rôle d'«interface avec des sociétés chinoises» ; et Zhongsheng Zhang, un commerçant chinois résidant à Paris impliqué dans le système de blanchiment de fonds. (jzs avec afp)