La Russie ne cesse d'attaquer ponctuellement les villes ukrainiennes, à coup de drones kamikazes ou de missiles. Natalia Zarytska a 39 ans et vit à Kiev. Depuis le début de l'invasion russe, elle travaille pour une ONG qui s'occupe des personnes disparues et des prisonniers de guerre. Interview.
Natalia, vous vivez à Solomiansky, un quartier qui a subi de nombreuses attaques ces derniers temps, le plus souvent la nuit. Que faites-vous quand cela se produit?
En cas d'alerte aérienne, je réveille mon fils et nous courons nous réfugier dans l'abri que nous partageons avec deux autres familles voisines. Il fait environ deux mètres carrés et il n'y a pas de place pour dormir. Nous nous y asseyons et je tiens mon fils dans mes bras.
Parfois, nous discutons, parfois, nous prions. Et nous observons la situation sur nos téléphones. Dès que l'alerte est levée, nous retournons nous coucher. Parfois, il y a deux alertes par nuit, puis la vie reprend son cours. Et le lendemain matin, nous nous levons à nouveau pour aller travailler.
La guerre dure maintenant depuis plus de trois ans. Comment vivez-vous la situation?
Depuis le début de l'été, les attaques se sont multipliées. Nous devons désormais courir nous abriter environ une nuit sur cinq. Et l'intensité a également augmenté. Lors des précédentes offensives de drones, j'en entendais un à la fois, maintenant, il y en a parfois quatre ou cinq.
Cela laisse des traces: la nuit dernière, j'ai entendu un moustique et j'ai cru qu'il s'agissait d'un drone. J'ai vérifié sur mon téléphone pour m'assurer qu'il n'y avait pas d'alerte.
Quelles autres mesures de sécurité prenez-vous?
Sur Telegram, des canaux indiquent en temps réel les lieux des attaques. Nous avons des extincteurs dans l'appartement et stockons suffisamment d'eau sur notre balcon. J'ai toujours avec moi un sac avec des documents, ma carte de crédit et de l'argent liquide.
Je porte des baskets plutôt que des chaussures élégantes et un pantalon au lieu d'une jupe pour pouvoir mieux courir. J'ai des lunettes spéciales qui protègent des éclats. Et j'ai toujours un couteau sur moi, pour me défendre.
Votre fils a onze ans. Va-t-il encore à l'école ?
Si la nuit a été mouvementée, l'école se fait en ligne. Mais en principe, elle continue de fonctionner normalement. Mon fils ne porte plus d'uniforme, mais un pantalon de sport et des baskets, pour être plus agile. Dès qu'il y a une alerte, l'enseignante se rend avec les enfants dans un abri.
Mais même cet abri ne résisterait pas à une attaque directe de missiles. Je vis avec cette idée. Ici, on n'est en sécurité nulle part. Il ne nous reste donc plus qu'à prier.
A quoi ressemble la vie à Kiev en ce moment?
Les gens vont au travail, à l'école. Dès que l'alarme retentit, tout le monde se précipite dans les stations de métro ou dans les abris. Quand tu entends le bruit d'un drone, tu sais qu'il te reste deux secondes et demie pour te mettre à l'abri. Il y a aussi des gens qui continuent à vivre comme avant. Ils tentent de faire abstraction du danger. Mais l'agresseur russe est bien réel. Et plus tôt, on comprend qu'il s'agit d'une vraie guerre, plus on a le temps de se préparer.
Comment gérez-vous ce stress permanent?
En me disant: «Natalia, la Russie veut te faire peur, sois forte». Mais quand tu as un enfant, des parents et des amis, c'est parfois difficile d'y croire. Beaucoup de gens font semblant d'aller bien. Mais je crois que nous sommes tous très inquiets. Constamment stressés.
Donald Trump a annoncé vouloir vendre des systèmes de défense aériens aux pays de l'Otan afin qu'ils puissent les livrer à l'Ukraine. Ces évolutions vous rendent-elles confiante?
Tout soutien compte pour survivre. Je comprends que la guerre semble très lointaine pour les Américains, ou même pour certains Européens. Il n'y a cependant pas qu'un enjeu territorial, il en va aussi des valeurs démocratiques. Parfois, notre situation me rappelle le film Don't Look Up, dans lequel les protagonistes refusent de voir en face la réalité jusqu'à la fin. Mais je suis sûr que la Russie ne s'arrêtera pas là et que d'autres pays sont en danger.
Avez-vous encore l'espoir que l'Ukraine gagne?
Pour nous, les choses ne se présentent pas bien. Nous n'avons pas assez d'armes. Beaucoup de ceux qui nous ont défendus ont été tués. Certes, les miracles existent. Mais je ne m'imagine pas attendre ici qu'un drone tue mon enfant, mes proches ou moi-même.
Allez-vous tout de même rester à Kiev?
Je pense à quitter Kiev depuis peu pour partir dans l'ouest du pays, voire à l'étranger, dans un pays voisin. Mais comment savoir si nous y serons en sécurité? Même la Pologne a une frontière avec la Russie...
(Adaptation française: Valentine Zenker)