Ces derniers jours, le compte Facebook de Dinko Gruhonjić a été inondé de messages qui font froid dans le dos. L'un d'entre eux est carrément menaçant: «Nous allons te briser tous les os». Le journaliste et professeur d'université de Novi Sad, la deuxième ville de Serbie, est dans le collimateur des nationalistes. Une vidéo manipulée le montre en train de faire l'éloge d'un criminel de guerre croate – une aubaine pour la droite serbe, qui se considère comme une victime des autres nations des Balkans.
Sur d'autres fronts également, la tension monte pour la Serbie, notamment dans le conflit qui l'oppose à son voisin, le Kosovo. Cela réjouit tout particulièrement un allié de la Serbie: Vladimir Poutine. Ce dernier est «sans aucun doute intéressé par de nouveaux conflits». «L'objectif de Poutine est de détourner l'attention de l'Occident de l'Ukraine», explique Adnan Ćerimagić, expert politique bosniaque auprès de l'Initiative européenne de stabilité (IES).
Il n'est pas le seul à voir les choses de cette manière. En mars, deux analystes américains de la Foundation for Defense of Democracies (FDD) ont mis en garde contre l'influence russe dans les Balkans.
Selon la chaîne de télévision serbe N1, les Balkans occidentaux sont le «candidat parfait» pour le jeu stratégique de Poutine. La Serbie entretient des relations étroites avec la Russie. Les observateurs qualifient la politique étrangère du président Aleksandar Vucic d'errance politique: alors qu'il revendique la neutralité, il aspire à une adhésion à l'UE pour son pays tout en entretenant de bonnes relations avec la Chine et la Russie.
L'homme fort de Belgrade a certes souligné que l'amitié avec la Russie était devenue «plus difficile» après la mort du critique du Kremlin Alexeï Navalny. Mais presque dans la foulée, il a refusé de sanctionner son allié.
Mi-février, le jour de la fête nationale de la Serbie, Vucic a présenté à son peuple un nouvel arsenal militaire: un système de défense par drones, des chars et des missiles, tous achetés à Moscou. Là encore, le paradoxe de la politique de Vucic se reflète: ces armes pourraient-elles être celles que la Serbie livre en douce à l'Ukraine – via les Américains, selon les initiés?
Au vu des douze derniers mois, le politologue Cerimagic estime que le Kosovo et la Serbie sont «au bord de la catastrophe». En mai, des manifestants de souche serbe avaient lancé des bombes incendiaires sur les soldats de l'Otan dans le nord du Kosovo. En septembre, près de trois douzaines d'extrémistes serbes ont franchi la frontière et se sont livrés à une fusillade de plusieurs heures avec la police du Kosovo; quatre personnes sont mortes. L'accord de normalisation négocié par l'UE entre Belgrade et Pristina reste non signé. Et voilà que l'on se met à nouveau à sabrer.
En 2008, le Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie. Il y règne encore le profond traumatisme des bombardements de l'Otan, par lesquels l'Occident a évité, selon ses propres termes, une «catastrophe humanitaire» lors de la guerre du Kosovo.
Belgrade considère toujours le Kosovo comme une province sécessionniste. Le ministre kosovar de l'Intérieur Xhelal Sveçla a averti cette semaine qu'environ 400 paramilitaires s'entraînent actuellement du côté serbe de la frontière, prêts à lancer leur «attaque agressive» sur ordre de Vucic. Une nouvelle guerre menace-t-elle dans les Balkans?
L'ancien porte-parole de l'Otan Jamie Shea a déclaré à CH Media:
Selon les experts, il faudrait plutôt s'attendre à des provocations et à des attaques de paramilitaires sans grade ni emblème – comme en 2014 en Crimée.
Le jeu de pouvoir de Poutine dans les Balkans n'a même pas besoin d'une nouvelle guerre, estime Nikola Burazer, politologue à Belgrade: «L'insécurité qui règne et les multiples crises à résoudre pour l'Occident – cela crée déjà une diversion bienvenue».
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci