La présidente du Kosovo est une femme très occupée ces jours-ci. Vjosa Osmani vient de sortir d'un briefing avec des journalistes locaux. Le soir, la chaîne américaine CNN l'interviewe en direct, le lendemain matin, elle s'envole pour l'Espagne pour le sommet de la Communauté politique européenne. Entre-temps, elle trouve un moment pour s'entretenir avec notre journaliste.
Le Kosovo a récemment connu l'incident sécuritaire le plus lourd de conséquences depuis des années. Des hommes lourdement armés ont attaqué des policiers kosovars et pris d'assaut un monastère à Banjska, dans le nord du Kosovo, où vivent de nombreux Serbes de souche.
A Pristina, on en est sûr: il s'agissait d'une attaque commanditée par Belgrade. Le président serbe Aleksandar Vucic le conteste. Des forces occidentales sont stationnées sur place pour assurer une paix fragile.
La Suisse fait également partie de la force de protection du Kosovo (KFOR). Après l'attaque actuelle, la Grande-Bretagne envoie des soldats supplémentaires. Selon Osmani, il faudra plus que cela pour changer durablement la situation.
Madame la présidente, vous qualifiez les attaques qui ont eu lieu dans le nord du Kosovo fin septembre de tentatives d'annexion. Pouvez-vous expliquer cela?
Vjosa Osmani: La Serbie prévoit depuis longtemps d'annexer le nord du Kosovo. Et ce, exactement selon le même scénario que celui utilisé par le président russe Vladimir Poutine en Crimée.
Pendant ce temps, des groupes terroristes ont été formés dans des bases militaires serbes. Des armes lourdes et des «petits hommes verts» - des paramilitaires en uniformes sans insignes - ont été introduits en contrebande dans le nord du Kosovo par des routes illégales. Nous avons analysé des cartes, des images de drones, les armes des assaillants et leurs téléphones abandonnés pendant leur fuite. Il en ressort clairement que le 24 septembre, les assaillants voulaient créer des incidents armés dans 37 endroits à la fois, dans le cadre d'une opération hybride visant à occuper le nord de notre pays.
Selon vous, ces hommes agissaient-ils sur ordre direct du gouvernement serbe?
Absolument. Sans l'appareil d'Etat serbe, ils n'auraient jamais eu accès aux armes de guerre que nous avons confisquées. Ces hommes ont été formés dans les bases militaires serbes sous la coordination du ministre serbe de la Défense. De plus, selon le gouvernement américain, la Serbie a renforcé la présence de ses forces armées à la frontière avec le Kosovo dans une mesure sans précédent.
Le gouvernement serbe affirme que le pays a retiré ses troupes et les a réduites à leur niveau habituel.
Rien n'est assuré à ce jour. Nous attendons la confirmation définitive de nos partenaires occidentaux. Et même si c'est le cas, nous devons être prêts à tous les scénarios. La Serbie doit être tenue responsable de ses actes. Si cet acte d'agression reste sans conséquence, c'est un signe d'encouragement pour la Serbie à poursuivre son escalade encore et encore. Et ce, à une échelle bien plus grande que celle de l'attaque que nous venons d'empêcher.
La Serbie a récemment amélioré ses relations avec les Etats-Unis et l'UE et n'a aucun intérêt à une confrontation avec l'Otan. Pourquoi Belgrade prendrait-elle le risque?
C'est une question que l'on poserait à des personnes rationnelles. Mais nous n'attendons pas de rationalité de la part des dirigeants serbes. Je rappelle que le président serbe Aleksandar Vucic a été ministre de la propagande sous Slobodan Milosevic. Et aujourd'hui, il dit des choses comme:
C'est un appel au réveil pour tous ceux qui croyaient que Vucic pouvait faire la paix. Quelqu'un qui approuve un génocide ne peut pas être un faiseur de paix. La Serbie a besoin d'un Willy Brandt (réd. ancien chancelier fédéral de l'Allemagne, prix Nobel de la Paix). Quelqu'un qui soit prêt à reconnaître les crimes, qui s'agenouille devant les monuments aux victimes et qui demande pardon.
Vucic reproche à votre gouvernement de ne pas en faire assez pour protéger la minorité serbe au Kosovo. Il dit par exemple que la population serbe dans le nord a diminué de 10% par rapport à il y a deux ans.
C'est la même rhétorique que celle utilisée par Milosevic dans les années 1990 pour justifier ses guerres en ex-Yougoslavie; le même langage que celui utilisé par Poutine pour justifier son invasion à grande échelle de l'Ukraine. Le gouvernement du Kosovo ne discrimine pas ses citoyens en fonction de leur origine. La réalité est que les gens quittent leur pays d'origine partout dans les Balkans occidentaux - y compris en Serbie, d'ailleurs.
Les gens trouvent des emplois mieux payés ailleurs. C'est pourquoi nous devons, en tant que gouvernement, travailler à créer de la prospérité pour nos citoyens. Nous ne devons pas tomber dans le piège de la propagande de Vucic ni faire preuve d'un faux équilibre. Dans les événements du Kosovo, il y a clairement un agresseur et une victime.
Quel rôle joue la Russie?
La Russie veut ouvrir un nouveau front contre l'Occident afin que l'attention internationale se répartisse sur plusieurs conflits au lieu de se concentrer sur l'Ukraine, où elle a actuellement tout à fait raison de se concentrer. Moscou a également intérêt à une nouvelle escalade dans les Balkans occidentaux parce qu'elle veut faire vaciller les systèmes de l'UE et de l'Otan basés sur ses valeurs. Et Vucic, le meilleur ami de Poutine, l'y aide. La Russie a soutenu la Serbie politiquement, militairement et économiquement au cours des dernières années.
Vous êtes vous-même originaire du nord du Kosovo et avez vécu la guerre dans votre jeunesse. Qu'est-ce qui vous inquiète dans la situation actuelle, d'après votre expérience personnelle?
Je suis né à Mitrovica (réd: ville du nord du Kosovo). Aujourd'hui, les jeunes enfants du Kosovo se réveillent avec la même inquiétude que celle qui nous accompagnait lorsque nous étions enfants au début des années 90. Et cela est dû au fait qu'en Serbie, des politiciens sont au pouvoir et veulent ramener la région dans le passé. Nous voulons le contraire. Nous ne voulons pas que la nouvelle génération ait à subir ce que nous avons vécu dans notre enfance. J'espère sincèrement que nous aurons le soutien de nos alliés et partenaires pour garantir cela et pour défendre ce que nous avons obtenu.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)