Voter Nupes au second tour? Jamais! Ce refus catégorique n’émane pas de l’extrême droite, mais des rangs macronistes. Tous, à Ensemble, le label sous lequel se regroupent les candidats de l’actuelle majorité présidentielle, les éliminés du premier tour des législatives, comme ceux qui prendront part au second, ne sont pas d’accord sur l’attitude à adopter face aux 61 duels qui verront s'affronter, dimanche prochain, des candidats du Rassemblement national (RN, extrême droite) d’une part, de la Nupes (gauche plus ou moins radicale) d'autre part.
La tradition du «front républicain» en France, apparue depuis que le RN (auparavant Front national) constitue une «menace» électorale, est une sorte de loi non écrite. Au nom de quoi un candidat dit «républicain», dès lors qu’il appartient à la droite, au centre ou à la gauche, se retire de la bataille si son maintien risque de faire élire un représentant de l'extrême droite, ou appelle à voter contre cette dernière. Même s’il n’est plus dans le jeu.
C’est ce qu’ont fait sans hésiter Valérie Pécresse et Anne Hidalgo à la présidentielle d’avril en annonçant, le soir même de leur défaite au premier tour, qu’elles donneraient leur voix à Emmanuel Macron pour «faire barrage», autre expression consacrée du lexique républicain, à l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon, troisième du premier tour de la présidentielle, s’était contenté du service minimum en affirmant qu’aucune voix de ses électeurs ne devait aller à Marine Le Pen.
Dans les 61 duels qui l’opposent à des candidats RN, la Nupes exige des macronistes qu’ils appliquent la règle du front républicain. Mais la Nupes, coalition de gauche dominée par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, coche-t-elle toutes les cases du «parti républicain», respectueux de la bienséance démocratique, qui veut par exemple qu’on ne remette pas en cause les résultats d’une élection, comme Donald Trump s’y était employé après sa défaite en novembre 2020?
Contester les résultats, instiller le doute, c’est ce qu’a plus ou moins fait Jean-Luc Mélenchon lundi soir sur le plateau de France 2 en parlant de «bidouille» du ministre de l’Intérieur propre à «masquer la défaite» d’Ensemble au premier tour face à la Nupes, évoquant des comportements de «république bananière»:
Législatives - Jean-Luc Mélenchon accuse sur France 2 : "Gérald Darmanin tripote les chiffres, utilise la bidouille pour masquer la défaite. C'est digne d'une République bananière" - Vidéo https://t.co/cxnDngY7Ku
— Jean Marc Morandini (@morandiniblog) June 14, 2022
Sur le même plateau, il a fait de l'appel du pied aux électeurs du Rassemblement national, invitant les «fachos pas fâchés» à voter pour les candidats de la Nupes. Suite aux réactions indignées provoquées par cette énormité, il a plaidé le lapsus: il voulait dire les «fâchés pas fachos».
C’est donc en mots d’ordre dispersés que la macronie aborde la soixantaine de duels Nupes-RN de ce second tour. La première ministre, Elisabeth Borne, dont on n’imagine pas que les déclarations ne recoupent pas l’opinion du président de la République, n’est pas la moins équivoque sur le sujet, puisqu’elle invite les électeurs à faire le tri dans les candidats Nupes, le fameux «cas par cas»:
Cette déclaration est une attaque à peine déguisée contre Jean-Luc Mélenchon, soutien, il y a peu encore, de Vladimir Poutine et qui a affirmé sans nuance, suite à des drames récents faisant l’objet d’enquêtes, que «la police tue» en France. Pour Elisabeth Borne, Jean-Luc Mélenchon, qui personnifie la Nupes et qui estime que le poste de premier ministre lui revient de droit si la coalition de gauche l’emporte dimanche, n’est visiblement pas un «républicain». A travers ces mots, la première ministre vise la branche radicale, ou gauchiste, de la France insoumise.
Défait dès le premier tour dans une circonscription du Loiret, l’ex-ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, détesté par la Nupes pour ses positions intransigeantes sur la laïcité et ses propos contre les «islamogauchistes», n’appelle pas à faire barrage à l’extrême droite, non seulement à l'endroit où il a été battu, mais partout en France. «L'extrême gauche est un danger aussi important que l'extrême droite», dit-il:
Jean-Michel Blanquer: "L'extrême gauche est un danger aussi important que l'extrême droite" pic.twitter.com/ZW6UITABUx
— BFMTV (@BFMTV) June 12, 2022
Dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, la candidate Ensemble Alexandrine Pintus appelle à voter blanc au second tour et à rejeter les «extrêmes». Mettant dans le même sac, du moins là où elle a perdu, le RN et la Nupes:
Je n’abandonnerai jamais la #circo6211
— Alexandrine PINTUS 🇺🇦 (@APintus_) June 12, 2022
« dans la guerre comme dans la paix le dernier mot est à ceux qui ne se rendent jamais » GC #MajoritePresidentielle #Ensemble pic.twitter.com/qYVltC0WFd
La ministre de la Transition écologique, la macroniste Amélie de Montchalin, est toujours en lice pour le second tour des législatives, «en posture délicate dans sa circonscription de l’Essonne face au socialiste Jérôme Guedj» représentant la Nupes, observe le quotidien Le Monde, mais ses mots prononcés lundi sur CNews contre la coalition de gauche ont le tranchant servant d’habitude à disqualifier l’extrême-droite:
A l’inverse, et cela montre la cacophonie qui règne en macronie à propos des duels entre la Nupes et le RN, le ministre de la Transformation de la fonction publique, Stanislas Guerini, qui affrontera en ballottage défavorable un candidat Nupes, a tenu à clarifier les choses via Twitter. Son «Soyons très clairs» exprime assez bien le malaise sur la question au sein d’Ensemble:
Soyons très clairs : pas une voix pour le RN. Face à Marine Le Pen, j’appelle à voter Marine Tondelier au second tour des élections législatives.
— Stanislas Guerini (@StanGuerini) June 13, 2022
Présenté comme l’antithèse de son prédécesseur Jean-Michel Blanquer, le nouveau ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, est sorti de sa réserve. Par tweet également:
Quelle que soit la configuration aucune voix ne doit aller au Rassemblement national. Le combat contre l’extrême droite n’est pas un principe à géométrie variable. #frontrépublicain
— Pap Ndiaye (@PapNdiaye) June 13, 2022
La division des macronistes sur cette figure républicaine imposée, qu'est le «barrage à l’extrême droite», rend compte d’une forme de panique avant un second tour dont l’enjeu pour Emmanuel Macron est l’obtention ou non de la majorité absolue. Autrement dit, la latitude d’action de son futur gouvernement. Mais ces désaccords témoignent peut-être aussi de déchirements, sinon de frondes à venir dans les rangs de la majorité présidentielle.
C'est en chef de guerre, ce costume endossé après l'invasion russe de l'Ukraine, qu'Emmanuel Macron, en partance mardi pour la Roumanie et la Moldavie, a appelé les Français au «sursaut républicain» à moins d'une semaine du deuxième tour des législatives. «Dans ces temps troublés, le choix que vous aurez à faire dimanche 19 juin est plus crucial que jamais», a-t-il déclaré.
Question dramatisation, Jean-Luc Mélenchon a trouvé son maître.