Un militaire français au Sud-Liban: «On a l'impression de ne servir à rien»
La personne qui nous parle en ces termes est un militaire du contingent français de la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban. Ce militaire est actuellement basé dans le plus grand des trois camps français de la Finul, situé au Sud-Liban, à une vingtaine de kilomètres d’Israël, dans la zone des combats entre l’Etat hébreu et le Hezbollah.
Le témoignage qui va suivre et que watson a recueilli est le sien. Il rend compte d’un état d’exaspération au sein du contingent français, fort de 700 hommes sur les 10 000 casques bleus que compte la Finul. Il permet sans doute aussi de comprendre l'extrême froideur des relations entre le président français Emmanuel Macron et le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Avant de décrire en détail les tâches de cette force de l’ONU déployée dans l’une des régions les plus inflammables du monde, voici, rapporté par notre source, un exemple de ce qui nourrit cette exaspération.
«C'était ubuesque»
Quelle est la mission de la Finul?
Inaugurée en 1978, la Finul, une force de paix agissant en coordination avec les Forces armées libanaises (FAL), est déployée sur 120 km d’Est en Ouest au Sud-Liban, dans la partie de territoire comprise entre la rivière Litani et la frontière avec Israël, dont le tracé est source de litiges. La Finul est présente là même où le Hezbollah est implanté en force. Sa mission est de veiller à la mise en œuvre de la résolution 1701 adoptée en 2006 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Cela comprend, notamment:
- Le respect de la «ligne bleue», nom donné au tracé de la frontière israélo-libanaise, telle qu’arrêté en mai 2000 après le retrait israélien du Liban mettant fin à l'occupation commencée en juin 1982.
- Le désarmement de tous les groupes armés au Liban, de sorte qu'il n'y ait pas d'armes ou d'autorité dans le pays autre que celle de l'Etat libanais.
Carte du Sud-Liban
La Finul impuissante face au Hezbollah
La Finul a une mission d’observation. Elle n’exerce pas de pouvoir de contrainte, mais elle peut se défendre. Elle dispose de blindés légers armés de mitrailleuses. Une bonne partie de ses activités consiste en ce moment en la rédaction de rapports quotidiens renseignant l’ONU sur les tirs du Hezbollah au départ du Sud-Liban et sur les frappes israéliennes atteignant le territoire libanais.
Notre source française présente sur place l’affirme:
Quelles sont les capacités militaires du Hezbollah?
La branche armée du mouvement chiite compterait 50 000 hommes, dont une moitié de réservistes. Elle disposerait d’une réserve de 200 000 roquettes et missiles, selon une estimation du Center for Strategic and International Studies (CSIS), citée par le journal Le Monde. Ses tunnels au Sud-Liban sont nombreux.
Selon notre source, depuis le lancement, fin septembre, de la grande attaque aérienne israélienne contre le Liban, qui a tué Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, «celui-ci a considérablement augmenté le nombre de ses tirs en direction d’Israël, entre 100 et 200 par jours».
Que fait le contingent français de la Finul?
Le contingent français est sous le régime OPEX (les opérations extérieures de l’armée française). La durée des mandats des personnels français de la Finul est de quatre mois, cinq au maximum, contre six mois à un an pour les autres nationalités de la force onusienne. «La France tient une place particulière au sein de la Finul. Elle n’a pas de zone de contrôle attitrée. Les soldats français de la Finul patrouillent dans toute la zone du Sud-Liban selon des itinéraires prédéfinis et en collaboration avec les Forces armées libanaises», explique notre source.
Pourquoi l’exaspération contre Israël monte-t-elle?
Notre source avance plusieurs raisons, outre celles exposées plus haut:
- «Depuis fin juillet, les Israéliens sont devenus plus directifs avec la Finul, lui indiquant les endroits qu'il est possible ou non d'approcher. Officiellement, c’est pour notre sécurité, mais dans les faits, cela nous empêche de remplir notre mission.»
- «Depuis le 25 août, en réponse aux tirs massifs du Hezbollah répliquant à la mort de Fouad Chokr, haut chef militaire chiite tué dans une frappe israélienne sur Beyrouth le 30 juillet, Israël a intensifié ses frappes au Sud-Liban sur des positions de la milice chiite. Depuis ce moment-là, nous devons nous déplacer à l’intérieur du camp en gilet pare-balles et avec le casque. Nous devons nous mettre sous abri lorsque les Israéliens nous informent qu’ils conduisent des opérations qui peuvent potentiellement générer des dégâts collatéraux sur des camps de la Finul, ce qui s’est déjà produit sans toutefois faire de blessés.»
- «Un problème sérieux s’est posé fin septembre, quand les Israéliens ont voulu que les camps de la Finul proches de la frontière israélo-libanaise, la ligne bleue, soient désertés, au motif qu’ils voulaient effectuer des incursions en territoire libanais. La Finul a refusé. Mais se pose la question, encore une fois, du ravitaillement. Il y a un camp indonésien de la Finul situé à 5 km du nôtre. C’est nous qui le fournissons en eau, comme nous le faisons pour d’autres camps. Cela faisait seize jours qu’il n'était pas ravitaillé en eau en raison d'un constant état d'alerte. Cette situation était intenable.»
«Depuis deux jours, ils mangeaient sans eau»
«On a l’impression d’être les porte-serviettes d’Israël»
«Pour les soldats français de la Finul, la situation devient très pesante. Il y a le pilonnage constant d’Israël, jour et nuit, tout tremble, et il y a les tirs incessants des roquettes du Hezbollah. Il faut le vivre pour comprendre ce que cela fait. Nos ravitaillements sont épisodiques. Non seulement les Français de la Finul prennent conscience qu’ils ne servent à rien, mais en plus, ils ne peuvent pas bouger sans l’accord des Israéliens, via le commandement de la Finul. On a l’impression d’être les porte-serviettes d’Israël. Bref, le statut militaire de la France en prend un coup.»
La relève? Reportée
Notre source devait être relevée avec une partie du contingent français. «Initialement, il devait y avoir plusieurs relèves, fin septembre et début octobre. Mais tout est reporté d’un mois. Or, la situation est pleine de stress pour les personnels. On a besoin de souffler. On en a marre.» A leur retour de mission, les Français de la Finul passent par un «sas» de trois jours en Corse, durant lesquels les militaires peuvent se reposer, rencontrer des psychologues, décompresser.


